Transition carbone : un monde en pleine ébullition
France Carbon Agri a organisé une conférence sur la transition bas-carbone de l'agriculture et de ses filières à l'occasion du Salon de l'agriculture.
France Carbon Agri a organisé une conférence sur la transition bas-carbone de l'agriculture et de ses filières à l'occasion du Salon de l'agriculture.
C'est en plein Salon de l'agriculture, au cœur du Sia'pro, espace dédié aux échanges professionnels, que France Carbon Agri associés (FCAA) a organisé une conférence sur la transition bas-carbone de l'agriculture et de ses filières, mardi 27 février. Le président de FCAA, Samuel Vandaele, a introduit les échanges face à une salle bien garnie : « L'enjeu carbone est particulièrement prégnant pour le monde agricole avec l'objectif de neutralité à horizon 2050. Cela passe par la nécessité de diminuer de moitié les émissions du secteur agricole et d'être capable de relever le défi de doubler la séquestration dans le secteur agricole ».
La première table ronde organisée s'intéressait aux enjeux réglementaires et de structuration. Évoquant la situation du marché du carbone, la cheffe de projet agriculture et forêt chez I4CE, Clothilde Tronquet, a détaillé les freins et opportunités réglementaires pour financer la transition : « La compensation carbone reste le premier financement pour la transition. Les deux cadres de compensation existants — volontaires et réglementaires (vol domestique, centrale à charbon) — sont tous deux en pleine croissance. La France se positionne en quasi-pionnière en la matière avec la création du Label bas-carbone », a souligné l'experte, qui prévient : « Le cadre réglementaire à l'échelle européenne monte en puissance et est encore à construire. Aujourd'hui pour l'agriculture, le stockage de carbone est un outil de rémunération mais, à terme, il pourrait aussi devenir un outil de conditionnalité Pac par exemple ».
À ses côtés, Marc Braidy, agriculteur et président de la commission carbone de la Coopération agricole indique que « les coopératives ont pris à bras-le-corps le sujet de la décarbonation ». « De part la diversité de leurs activités, les coopératives françaises peuvent influer sur toute la chaîne de valeur ». Marc Braidy concède toutefois que « les deux talons d'Achille de l'agriculture française que sont le méthane pour l'élevage et le protoxyde d'azote pour les grandes cultures doivent être la priorité ». « Les coopératives doivent mesurer la nécessité d'accompagner les agriculteurs pour leur permettre de trouver des solutions pour répondre à ces enjeux, et alors nous aurons résolu une bonne partie de la problématique carbone ».
L'exemple de Nestlé France
Chez Nestlé France, la transition agricole est un enjeu majeur. Le groupe, qui achète chaque année 600 000 tonnes de matières en France, est engagé auprès des agriculteurs et s'intéresse depuis quelques années à l'agriculture régénératrice. « Nous avons adopté une feuille de route climat qui vise à réduire nos émissions carbone de 20 % d'ici à 2025, 50 % d'ici à 2030 et atteindre le net zéro en 2050, explique Charles Leonardi, directeur supply chain. Aujourd'hui, 350 agriculteurs avec lesquels nous travaillons sont engagés sur cette feuille de route. L'enjeu pour nous est de les accompagner au mieux, y compris financièrement. Nous avons opté pour des contractualisations long terme de cinq ans, nous finançons des aspects techniques comme des formations ou la réalisation de mesures et nous avons mis en place des primes. Une première à la mise en place des pratiques et une seconde à la quantification des résultats sur les sols ».
Pour Charles Leonardi, le défi du financement est plus que jamais prégnant. « Pour ces agriculteurs, Nestlé représente 20 à 30 % de ce que récolte l'agriculteur. On finance en proportion mais lui a besoin d'engager l'ensemble de son exploitation. C'est là que réside la nécessité que d'autres groupes contribuent ou d'aller chercher des fonds publics ou carbone ».
Le rôle clé du Crédit agricole
Partenaire de France Carbon Agri depuis 2023, le Crédit agricole est engagé dans la stratégie nationale bas-carbone à plusieurs échelles. La banque a d'abord créé de nouveaux métiers à travers Crédit agricole transition énergie, qui affiche des objectifs de conseil et d'accompagnement sur la production. « Nous avons mis sur pied trois fonds d'investissement dédiés à la recherche et au développement en matière d'environnement et de transition agri-agro, relate Dominique Moreau-Férellec, directeur transitions du Crédit agricole. Un milliard d'euros sont mobilisés au service des start-up qui innovent ».
Le Crédit agricole affiche aussi son ambition de renforcer l'accompagnement des exploitations sur la gestion des transitions. « Le nouveau dispositif Transition agri a été mis en place pour permettre un accompagnement des exploitations dans leur diagnostic carbone et évoquer les trajectoires d'avenir. En 2024, ce sont 100 000 entretiens Transitions agri qui seront réalisés », reprend Dominique Moreau-Férellec.
Le Crédit agricole affiche clairement son ambition de « structurer le marché à l'échelle nationale pour créer un cercle vertueux de débouchés qui susciteront des vocations chez les agriculteurs ». « Pour le moment, l'offre peine à rencontrer la demande. Les grands groupes savent exprimer leurs besoins, ce qui n'est pas le cas des entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour qui ce marché est encore évanescent. Nous souhaitons démocratiser l'accès au marché du crédit carbone volontaire et, par la même occasion, le relocaliser, car 98 % des crédits carbone vendus l'an dernier en France étaient des produits d'importation », explique le directeur transitions.
Des déclinaisons concrètes
La seconde table ronde a quant à elle permis de présenter des projets ancrés dans les territoires avec trois invités engagés dans la démarche. D'abord, le PDG de l'entreprise de surgélation bretonne Ecomiam, Daniel Sauvaget, qui acquiert des crédits carbone via FCAA, qui lui a permis d'identifier « quinze projets autour des magasins et qui permettent de compenser en local ». « Cela m'a permis d'entrer dans un système dont je suis sûr qu'il n'entraîne pas de pertes de production pour les exploitations, qui me permet de faire de la pédagogie auprès des clients et qui donne une bonne image des agriculteurs d'un point de vue environnemental », a souligné Daniel Sauvaget.
À ses côtés, Vincent Legentilhomme, polyculteur et éleveur de vaches laitières en Loire-Atlantique engagé dans la transition bas-carbone, a livré son retour d'expérience et les leviers mis en place sur sa ferme, tandis qu'Anthony Menard, vice-président de Solenat, a présenté cette association créée par des agriculteurs pour développer les services environnementaux et qui accompagne plus de 300 agriculteurs engagés dans la démarche bas-carbone.
Le président de FCAA, Samuel Vandaele, a conclu cet après-midi de réflexion en soulignant que « les agriculteurs, accompagnés et encadrés, sont capables de relever les défis de la transition, de l'autonomie et de la résilience des exploitations ». « C'est aussi un défi personnel pour chacun d'entre nous pour laisser des exploitations plus autonomes et résilientes à nos enfants et à une société qui vit tous les jours le changement climatique ». Et Samuel Vandaele de poursuivre : « Il se présente à nous de nombreux défis, techniques, réglementaires mais aussi pour accélérer et financer la transition, communiquer auprès des ETI… et assurer le plus de retour de valeur possible à nos agriculteurs ».
Une plateforme pour favoriser la rencontre en offre et demande
Fruit du partenariat entre France Carbon Agri et le Crédit agricole, une plateforme en ligne devrait bientôt voir le jour pour favoriser la rencontre entre les offres de crédits carbone générés dans les exploitations et les besoins de compensation des entreprises et notamment des entreprises de taille intermédiaire. « Le bon crédit carbone prêt de chez vous arrive bientôt, a souri Samuel Vandaele. Celui qui sera incarné par une exploitation, qui permettra de relocaliser le marché du carbone, d'apporter plus de transparence, de visibilité et de communication et de recréer du liant dans les territoires ».