Une récolte particulière avec Pierre-Emmanuel Moreau
Pour illustrer cette récolte 2020 qui se révèle plus que moyenne, nous avons choisi de rencontrer le 20 juillet, Pierre-Emmanuel Moreau, exploitant dans le Perche, une région particulièrement impactée.
S’il a été il y a quelques années un candidat remarqué dans l’émission de M6, L’Amour est dans le pré, Pierre-Emmanuel Moreau est avant tout un agriculteur passionné par son métier. Pour fermer la parenthèse de cette aventure télévisuelle, il dira simplement que la vie a finalement décidé qu’il resterait dans la région...
Mais, tandis que la moisson bat son plein en Eure-et-Loir, nous avons choisi d’en partager avec lui quelques instants, le 20 juillet, dans sa New Holland TX 67 qui en est à sa vingt-deuxième campagne : « mais elle fait le boulot ».
« Les coûts de production ne sont plus en rapport avec les produits. C’est dingue que les agriculteurs ne puissent plus financer leurs outils de travail », pointe-t-il d’emblée alors qu’il récolte du blé en contrat de semences sur une parcelle à proximité de sa ferme de Saint-Victor-de-Buthon.
Il faut dire que quelques jours plus tôt, il avait été obligé de d’engager des frais importants pour faire réparer une rotule et la tige tordue d’un vérin de direction de sa moissonneuse qui n’avaient pas résisté à une braye, grosse ornière résultant de traitements effectués sur des sols détrempés en début de campagne...
Cette moisson 2020 ne laissera pas beaucoup de bons souvenirs aux exploitants. Difficultés d’implantation, aléas du climat, attaques d’insectes, tout a concouru pour qu’elle s’avère plus que moyenne.
« C’est l’année des grands écarts. Une grosse déception, ça ne finit pas bien. J’en suis à la moitié et déjà en colza, je fais moins 20 % par rapport à la moyenne décennale. Les orges d’hiver, comme nous n’avons plus de Gaucho, ont été piquées par les pucerons. Quand j’ai vu ça, j’ai sursemé avec de l’orge de printemps, ce qui constitue une prise de risque de voir l’orge d’hiver égrener. Il faut vraiment obtenir une dérogation », pointe-t-il.
Sur cette parcelle de blé, le capteur de rendement ne fonctionnant pas, la question de savoir ce qu’elle donne se pose. Mais un petit calcul, réalisé en se basant sur la surface battue nécessaire pour remplir sa trémie, le rassure un peu : « je devrais faire autour de quatre-vingt quintaux, ce qui n’est pas trop mal ».
Au final, la parcelle rendra 72,8 quintaux : « ce n’est pas dramatique mais il en manque. Et il y a des coins où ça va être sévère, j’ai vu dans l’Orne des rendements en blé tendre qui tournent autour de 30 quintaux en moyenne ».
Ce qui l’inquiète aussi au fil des allers-retours de sa machine, c’est le nombre d’épis droits, noirs, raides à battre : « Les plantes ont été stressées, mais par quoi ? Le climat devient un réel problème. Les variations climatiques sont ingérables, les prix fluctuants. Tout ça génère pas mal d’angoisse. Nombreux sont ceux qui, économiquement au bout et sans perspective, pensent à arrêter. Et ce n’est pas une question de compétences technico-économiques... C’est dommage car nous avons un beau métier ».
Il enchaîne sur la Pac : « nos DPB (Droit à paiement de base) ont été rognés au fil des années. 40 000 euros ont été rabotés sur les primes Pac de mon exploitation. Nos politiques n’ont pas anticipé le problème et ne nous ont pas fourni les outils assez tôt pour faire face à la mondialisation. Et ce n’est pas faute de le leur avoir dit ! Par exemple, le plafonnement de la DPA (Dotation pour aléa) ne permet pas de mettre assez d’argent de côté et la main-d’œuvre salariée n’est pas prise en compte. Nous aurons peut-être encore de bonnes années mais d’ici là, il faut pouvoir tenir le coup ».
Comme les circonstances de cette récolte s’y prêtent et qu’un expert de Groupama passe justement visiter ses parcelles, il est question de l’assurance récolte : « C’est une sérieuse sécurité, une sage précaution avec ce que l’on vit. Je conseille à tous de faire une simulation. Cette année, ça me coûte 1 600 euros pour un peu plus de deux cents hectares. La franchise est à 25 %, on peut la faire baisser mais ça coûte plus cher ».
Néanmoins cette année, ses rendements ne lui permettront pas de la déclencher, sauf peut-être en escourgeon... Mais nombreux sont ceux qui en bénéficieront dans la région cette année.
Éleveur, Pierre-Emmanuel Moreau s’inquiète aussi pour la paille : « Cette année, il va y en avoir deux à trois fois moins à l’hectare. Ça va être très tendu ». Et il nourrit quelques projets : « comme on manque d’eau ici désormais, je me pose la question de l’irrigation. Un forage ou une retenue colinaire serait un appoint qui me permettrait d’envisager une diversification ».
Il souhaite également garder un petit troupeau de vaches allaitantes « pour valoriser mes prairies et toucher l’ICHN, qui a été une bonne chose pour le secteur », et pourquoi pas se lancer dans la vente directe, histoire d’améliorer ses revenus.
Hervé Colin