Entretien.
« Je fais partie d'une génération qui était plutôt critique à l'égard des coopératives »
Benoît Ferrière, le nouveau président d'AgroPithiviers, évoque ses projets et le mode de gouvernance qu'il entend mettre en oeuvre.
Loiret agricole et rural : Le mardi 10 décembre dernier, vous avez été élu président d'AgroPithiviers : qu'est-ce que cela représente pour vous en termes de pouvoirs ?
Benoît Ferrière : Je résonne plutôt en termes de représentativité que de pouvoirs car je considère mon rôle comme représentant de tous les adhérents de la coopérative au sein du conseil d'administration. Dans une structure comme la nôtre, chaque adhérent ne peut pas donner son point de vue. Ce serait trop compliqué. Donc, cette fonction est déléguée à un conseil d'administration qui a besoin d'un chef d'orchestre qui est son président.
LAR : Est-ce une lourde responsabilité ?
B.F. : Outre le temps nécessaire pour comprendre et bien appréhender tous les mécanismes quotidiens de gestion de la coopérative, la signature des billets de trésorerie, des emprunts, des investissements, la préparation des bureaux, des conseils d'administration et de l'assemblée générale ou encore la représentation de la coopérative à l'extérieur mettent une certaine pression sur le président. En janvier, j'étais à une dizaine de journées de bloquées. Sur l'année, cela en représentera un certain nombre et elles seront à gérer sur l'exploitation puisque, pendant ce temps-là, je ne serai pas là.
LAR : Auparavant, vous étiez vice-président de la coopérative : depuis quand êtes-vous coopérateur et qu'est-ce qui vous a séduit dans ce mode d'organisation ?
B.F. : Je suis devenu coopérateur dès mon installation, en 2000. Mes parents étaient adhérents de la coopérative de Pithiviers et mon arrière-grand-père l'était également avant la seconde guerre mondiale ! Travailler avec un organisme à qui on vend ses productions nécessite une confiance sur la régularité des opérations et dans le temps : est-ce que demain l'entreprise sera encore là ? Intervient aussi la recherche de compétences car il faut travailler avec des gens compétents.
Le côté humain
À la différence d'une entreprise privée, on peut donner son avis. Évidemment, quand on est président, c'est le poste ultime où on le fait. Mais un adhérent de base, à travers ses administrateurs et lors de l'assemblée générale, peut donner son avis sur la vie de l'entreprise et sur les choix stratégiques que celle-ci effectue.
Dans une entreprise privée, le dirigeant fait ce qu'il veut chez lui. Alors que là, si la gouvernance fonctionne bien, ce sont des allers et retours entre le conseil d'administration, l'équipe de direction et les adhérents. Personnellement, je trouve cela satisfaisant car on contribue aux choix qui sont faits à l'intérieur de la coopérative. Qu'on détienne cinq parts sociales, cinquante ou cinq cents, le jour de l'assemblée générale, on n'a qu'une voix : c'est le côté humain du modèle coopératif.
LAR : Vous succédez à Jean-Marc Coulon : quelle sera votre façon de diriger le navire ?
B.F. : Jean-Marc a été un bon président. Il a su faire travailler son conseil d'administration, demander son avis quand c'était nécessaire, composer des groupes de travail quand cela s'imposait. Il n'a pas été un président qui a agi en solo ! Le conseil d'administration n'était pas là pour faire de la figuration mais bien pour déterminer la stratégie de la coopérative et gérer celle-ci. Depuis deux ans, Jean-Marc souhaitait arrêter de présider la coopérative : il en avait parlé à ses vice-présidents.
Trop stratégique et trop confidentiel
Mon action s'inscrira dans la continuité avec un renforcement de la gouvernance : le bureau se réunira tous les mois de façon à faire un point systématique. Ensuite, avec les trois vice-présidents, nous travaillerons sur les aspects plus stratégiques. Notamment, la commercialisation des céréales vers les clients de la coopérative. Cela ne peut pas se faire avec tous les administrateurs : c'est trop stratégique et trop confidentiel. En revanche, les trois vice-présidents doivent être impliqués dans ces dossiers-là. Par exemple, nous travaillons sur la relation entre les adhérents et la coopérative : on a une approche de segmentation qui est en cours auprès de nos adhérents.
LAR : Le récent Congrès de Coop de France était consacré au thème Compétitivité et gouvernance coopérative. C'était aussi un peu le sujet central de votre assemblée générale, le 6 décembre dernier : comment cela peut-il se traduire au niveau d'AgroPithiviers ?
B.F. : Je fais partie d'une génération qui était plutôt critique à l'égard des coopératives. Au niveau scolaire, il y avait des réticences car elles avaient l'image d'entreprises qui n'étaient pas très innovantes. Des entreprises gérées en bon père de famille. Que les générations précédentes avaient mises en place. Mais qui souffraient peut-être d'un manque de gouvernance. Dans le passé, cela a surement été vrai.
Lors des assemblées générales, tout n'était pas présenté entièrement. Les administrateurs ne jouaient pas leur rôle à fond : ils étaient plus là pour valider des décisions déjà prises, sans entrer dans le détail. D'où l'importance d'avoir une gouvernance qui fonctionne bien. Où chaque administrateur joue son rôle. Pour donner son avis au conseil d'administration devant l'équipe de direction. Et pour faire redescendre auprès des adhérents les choix de la coopérative. Et, inversement, si les adhérents ont besoin de renseignements.
De 160.000 à 200.000 t
Ce qui fait la rentabilité et le bon fonctionnement de la coopérative, c'est le tonnage entré et ressorti. En aucun cas le prix du blé. Pour les adhérents, c'est l'inverse : à 150 EUR la tonne, ils s'en sortent tout juste. À 250 EUR la tonne, cela se passe plutôt bien. Mais, pour une coopérative, ce qui compte, c'est le tonnage qu'elle va être capable de collecter puisque sa marge est pratiquement toujours identique quel que soit le prix du blé.
Lors d'aléas climatiques, de restrictions d'irrigation ou de parts de marchés un peu moindres, si on descend à 160.000 t, les frais généraux sont identiques et la rentabilité de la coopérative est limite. Inversement, à 200.000 t, cela se passe bien. Il faut trouver des créneaux à plus forte valeur ajoutée comme les blés améliorants ou des contrats de semences. L'enjeu : améliorer notre marge afin d'être moins sensible aux aléas climatiques. Et, si possible, être bon sur notre part de marché pour éviter de redescendre trop bas en collectes. Cela signifie qu'il faut pouvoir proposer des prix compétitifs à nos adhérents.
LAR : Ce début d'année marque le lancement d'une campagne nationale de communication destinée à promouvoir le modèle coopératif : l'entité de Pithiviers est-elle associée à cette opération ?
B.F. : Cette campagne a été conçue au début de l'année 2013. Pour des raisons pratiques, nous n'avons pas pu y participer même si nous y sommes favorables. Comme les commerçants et les artisans ont su le faire, cette opération peut améliorer notre image de marque.
LAR : Que pourriez-vous dire pour populariser AgroPithiviers auprès du grand public ?
B.F. : Si je prends l'exemple de notre filiale Gamm vert, le grand public ne sait pas forcément que ce magasin appartient à la coopérative. Un magasin qui se veut proche du terroir. Qui entend distribuer des produits qu'on ne trouve pas ailleurs. Le mot coopérative est connu. Mais les gens ne savent pas que le principe un homme = une voix y est une règle d'or. Que tout le monde peut voter lors de l'assemblée générale.
Une entreprise liée à un territoire
Les coopératives ne peuvent pas faire l'objet d'une Offre publique d'achat (OPA). AgroPithiviers n'est pas coté en Bourse mais, pour les coopératives plus importantes, il n'y a pas de risque d'être repris par un fonds de pension ou une entreprise étrangère. Une coopérative est liée à un territoire et n'est pas délocalisable !
LAR : Sur le plan stratégique et technique, quels projets souhaitez-vous mettre en oeuvre ?
B.F. : Il y a sans arrêt des réflexions qui ont lieu en fonction des difficultés du moment. Une nouvelle Politique agricole commune est en train de se dessiner. Or les agriculteurs du Pithiverais vont être impactés de façon négative. Et même assez largement puisque, dans nos références historiques, il y avait des aides liées à la présence de la betterave sucrière. Or cela ne sera plus retenu dans la nouvelle PAC : il est clair que nos adhérents vont voir, en moyenne, leur DPU baisser sensiblement. À nous de réfléchir comment on peut les aider à limiter cette évolution.
Une filière de blé améliorant est en place : elle est censée apporter une plus-value par rapport à du blé classique. Existe aussi des filières de traçabilité : peut-être faut-il aller encore plus loin dans ces domaines-là. Autre piste : comment gérer le risque lié à la fluctuation des cours ? Tant qu'on n'a pas vendu, on se met en risque par rapport à une baisse. Et quand on a vendu, on se met en risque par rapport à une hausse.
Il existe des techniques de marchés à terme ou d'assurances type put ou call qui ne sont pas suffisamment utilisées. Or la coopérative les utilise en interne à travers le prix moyen. Dans ce cas-là, c'est un peu l'adhérent qui demande à la coopérative de gérer pour lui. Mais l'appréhension du risque variation de prix doit être poursuivie et on doit accompagner davantage nos adhérents dans ces domaines-là puisque c'est un facteur qui influence énormément leur revenu.