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«Il est difficile de comparer avec les États-Unis»

La prochaine Politique agricole commune aura-t-elle une connotation américaine ? Lors de l’assemblée générale de la FDSEA, Christophe Debar et Éric Lainé ont apporté leur éclairage.

De gauche à droite, Jean-Christophe Debar, Éric Lainé et Cédric Benoist. Le secrétaire général de la FDSEA a animé les débats.
De gauche à droite, Jean-Christophe Debar, Éric Lainé et Cédric Benoist. Le secrétaire général de la FDSEA a animé les débats.
© Olivier JOLY

PAC 2020 : vers un Farm Bill version européenne ? C’était le thème de l’assemblée générale de la FDSEA, le jeudi 7 mai à Pithiviers-le-Vieil. Les organisateurs avaient invité Jean-Christophe Debar et Éric Lainé. Le premier est directeur de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde. Depuis 1994, il est aussi éditeur et rédacteur d’Agri US Analyse, lettre mensuelle sur l’agriculture et la politique agricole des États-Unis. Ingénieur agronome, dès sa sortie de l’école, il s’est penché sur la problématique américaine et a débuté sa carrière au Bureau des Affaires agricoles de l’Ambassade des États-Unis en France. Le second, président de la commission économie de la FNSEA et de la Confédération générale des Planteurs de Betteraves, est agriculteur à Saint-Memmie (Marne). Entretien croisé.

Loiret agricole et rural : Qu’est-ce que le Farm Bill ?

Jean-Christophe Debar : C’est la loi-cadre agricole des États-Unis. Elle est votée tous les cinq ou six ans. Le texte actuellement en vigueur a été voté en 2014 et court jusqu’en 2018 : on voit qu’il y a un parallèle avec le timing de la nouvelle PAC. Pour les grandes cultures, le nouveau Farm Bill supprime les aides découplées mais les États-Unis conservent des soutiens importants : d’autres types d’aides, liées aux prix du marché, et un programme d’assurance chiffre d’affaires permettant aux agriculteurs américains de conserver leur recette à peu près au niveau où celle-ci est projetée au moment des semis.

LAR : Les agriculteurs français appellent-ils de leurs vœux un tel système ?

Éric Lainé : La politique agricole européenne ne répond plus complètement aux enjeux. En témoignent, la volatilité de plus en plus forte, le démantèlement des outils de gestion, etc. Il y a des prémices de ce qui pourrait être mis en œuvre après 2020. Quelque chose qui pourrait ressembler à ce qui se passe aux États-Unis, à travers par exemple l’assurance-socle. Quelque part, on s’approche d’une garantie de revenu : quelque chose qui peut être intéressant. Aujourd’hui, nous sommes bloqués par la PAC car on ne peut pas la faire varier d’une année sur l’autre. Il existe un budget. S’il n’est pas consommé, il est perdu.

LAR : Garantir le revenu dans un contexte mondialisé et ultra-libéral, comment cela peut-il fonctionner ?

J.-C.D. : Outre-Atlantique, le cas le plus original, c’est l’assurance chiffre d’affaires. Certes, c’est une garantie de revenu. Mais il faut faire attention car c’est une garantie de revenu telle que peuvent l’offrir les marchés à terme : c’est un prix à terme croisé avec un rendement. Si le prix à terme est bas, le revenu garanti est également bas. À côté de cela, les États-Unis maintiennent des niveaux de prix minima aux cultures : on en parle moins parce ceux-ci existent depuis de nombreuses années. Mais au fond, si les prix s’effondrent, des prix minima sont préférables à une assurance. En Europe, on a démantelé les prix minima. Le besoin fondamental de tout agriculteur consiste à couvrir ses coûts de production ou une partie de ceux-ci lorsque les marchés s’effondrent : faisons attention à quel type d’outil nous voulons nous référer ! On peut en créer qui remplissent certaines fonctions. Mais il me semble très important de préserver le vrai filet de sécurité. Or l’assurance chiffre d’affaires aux États-Unis ne le fait qu’à moitié.

Pallier une carence

É.L. : Ce que dit Jean-Christophe Debar sur la sécurité d’un prix minimum, chez nous, c’est le prix d’intervention. Or nous ne l’avons plus. Nous sommes en recherche d’outils pour pallier cette carence. On parle de l’assurance mais il pourrait aussi y avoir les marchés à terme, la contractualisation et le stockage. C’est une panoplie d’outils qui doivent se mettre en musique afin de répondre aux objectifs.

LAR : Un Farm Bill est-il transposable en Europe et comment un tel système pourrait-il fonctionner ?

J.-C.D. : Dans l’état actuel des choses, c’est difficile. Éric Lainé faisait allusion au budget. Outre-Atlantique, celui-ci est très flexible : les États-Unis peuvent très bien prévoir de dépenser dix dollars et, si les prix s’effondrent, dépenser vingt dollars. En Europe, on prévoit de dépenser dix euros et, si des besoins supplémentaires se faisaient jour, il n’y a pas d’argent pour cela. En outre, si on dépense moins, on ne fera pas d’économie pour l’année suivante ! Si on veut avoir des outils d’ordre assuranciel au sens large, il faudra bien résoudre la question de la variabilité : comment arriver à accommoder les règles budgétaires avec un système un peu plus souple ? Pour l’instant, nous en sommes loin ! Autre différence importante, les États-Unis constituent un seul pays même s’il s’agit d’une Fédération. Depuis quelques années, en Europe, la Politique agricole commune tend à laisser de plus en plus de marges de manœuvre aux différents États membres : le soutien à l’assurance est laissé à leur libre choix. Certains, comme la France, le veulent. D’autres, comme l’Allemagne, n’en veulent pas du tout.

É.L. : Nous avons effectivement un fonctionnement européen qui fait que ce qui se passe aux États-Unis n’est pas applicable en l’état ! Il faut donc que nous travaillons sur d’autres solutions. Peut-être que nous arriverons aussi à faire bouger Bruxelles… On a une agriculture de territoires : il est difficile de comparer avec les États-Unis.

LAR : Dans quelle mesure un Farm Bill européen permettrait-il de relever le défi de la compétitivité vis-à-vis de nos concurrents internationaux ?

J.-C.D. : Un système de soutien bien fait peut aider contre les coups durs : en ce sens, cela participe de la compétitivité. Mais celle-ci dépend d’abord de ce que font les agriculteurs et l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire en termes de qualité, de coûts de production et de formation des hommes.

De multiples exemples

É.L. : La compétitivité passe par la recherche et l’innovation. Nous avons de multiples exemples : c’est le cas en betteraves avec un programme sur la génomique. En blé, il est en train de se faire quelque chose. Nous avons besoin de produire plus et mieux : pour être compétitifs, nous n’avons pas beaucoup d’autres choix que ceux-là.

LAR : Quelles sont les chances qu’un Farm Bill européen voie le jour à partir de 2020 pour ce qui serait un changement de logiciel de la Politique agricole commune ?

J.-C.D. : Que la prochaine PAC se rapproche ou pas d’un Farm Bill américain, compte tenu des échéances, il faudrait avoir suffisamment avancé dans les dix-huit à vingt-quatre mois afin que les organisations agricoles fassent prévaloir les idées qu’elles auront voulu défendre. La réflexion a commencé : il faut y aller !

É.L. : Via la PAC 2014-2020, nous avons un petit peu mis le pied dans la porte avec cette forme assurancielle prise sur le second pilier : l’assurance-socle ou les options qui peuvent s’ajouter à cela. Mais ce n’est qu’une première étape. Qui ne peut pas contenter tout le monde. Il faut sans doute aller plus loin. Notre travail consiste à explorer ce qu’il est possible de faire et qui correspond le mieux à notre agriculture européenne. Il faut travailler d’arrache-pied car l’échéance arrivera vite. Il faut bien faire le tour de la question avant de pondre des solutions !

HUIS CLOS. Retour sur la matinée de l’assemblée générale consacrée aux adhérents, avec le bilan de l’année 2014.

Une matinée riche en débats

Une centaine d’adhérents étaient présents lors de l’assemblée générale de la FDSEA qui se tenait à Pithiviers-le-Vieil ce jeudi 7 mai au matin. Jean Daudin, Président de la FDSEA du Loiret a ouvert l’Assemblée. Ludovic Giry, nouveau Trésorier de la FDSEA, élu en 2014, a présenté les comptes et le rapport du commissaire aux comptes.

Chaque président de sections et commissions a lu son rapport d’activités relatant tout le travail effectué en 2014. Au menu, de nombreux débats notamment sur les dossiers foncier (schéma régional des structures), l’environnement ou l’hydraulique. La gestion des cours d’eau pose encore énormément de questions. Il faudra s’investir pour les prochaines réunions sur le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) qui est en consultation publique à l’heure actuelle. Celui-ci pourrait fortement impacter nos pratiques suivant les orientations prises à l’issue de cette consultation. La cartographie des cours d’eau est en cours de révision, il faudra être présent sur le terrain pour éviter les erreurs.

Sur le dossier hydraulique, de nombreux sujets sont d’actualité : les déplacements de forages, l’abandon des tarifs électricité de plus de 36 Kva, les coefficients d’irrigation, le SDAGE, le changement des compteurs d’irrigation ou encore l’organisme unique. Malgré les diverses annonces successives au niveau politique, tout le monde s’accorde à dire que la complexification est plutôt grandissante accompagné de coûts supplémentaires, l’organisme unique est en l’exemple !

Cédric Benoist, secrétaire général a conclut ces travaux en proposant le rapport d’orientation de la FDSEA intitulé : «Desserrer l’étau des contraintes, libérer les énergies…pour vivre de son métier» La FDSEA déplore que l’agriculture ne soit vue que sous l’angle de la décroissance alors qu’elle a tous les atouts pour participer à la croissance économique nationale, pour se faire il convient de stopper la tendance à vouloir «légiférer sur tout, rendre compatible économiquement toute nouvelle réglementation et surtout et faire confiance aux paysans».

L’intervention de Cédric Boussin, président des Jeunes Agriculteurs du Loiret a conclu la matinée brillamment. Le Président est revenu sur sa première année de mandature et sur le travail effectué en 2014. Il a souhaité reprendre une phrase de Jean Daudin, président de la FDSEA, «seul on va plus vite, ensemble on va plus loin». C’est ensemble que FDSEA et JA doivent travailler.

A l’heure actuelle, les inquiétudes sont nombreuses sur l’installation et le coût du foncier. JA défend tous les projets viables, vivables et transmissibles. Cédric Boussin souhaite remercier la FDSEA pour la relance du Comité Agricole Territorial car il est primordial pour l’ensemble des Organisations Professionnelles Agricoles (OPA) de se concerter pour atteindre un même objectif, avec le soutien de la Ferme Loiret. Enfin, il est important de communiquer sur nos pratiques pour que le grand public ait une bonne opinion de notre métier. «La formation des agriculteurs sur les nouveaux modes de communication que sont les réseaux sociaux est à ce titre  indispensable.» a précisé le président des Jeunes Agriculteurs.

Xavier Beulin : Morceaux choisis de l’intervention du président de la FNSEA, lors de l’AG FDSEA.

«Stéphane Le Foll nous a mis dans une impasse»

Par les actes délégués, la Commission européenne a complexifié la PAC. Sur la question des formes sociétaires, Stéphane Le Foll nous a mis dans une impasse : du fait de la convergence des aides et de l’absence de transparence en dehors des Gaec, il n’y a pas d’effet multiplicateur des 52 ha. Notre objectif : ne pas aller au-delà de 15 % de convergence, tel que la PAC actuelle le prévoit. (…) Nous avons un énorme problème de cartographie des parcelles : je ne comprends pas ce qui arrive ! Partout, il y a des erreurs ! J’ai demandé au ministre de l’Agriculture un report des délais jusqu’au 15 juin pour le dépôt des dossiers et des contrôles pédagogiques. (…) Nous allons demander une avance de trésorerie au 15 octobre : nous en aurons bien besoin ! (…) J’ai officiellement invité Stéphane Le Foll à venir sur une exploitation du Loiret afin qu’il remplisse une déclaration PAC et qu’il en voit la complexité. La nouvelle PAC est difficile à expliquer et à justifier : économiquement et socialement, elle ne répond pas aux enjeux qui sont devant nous. (…) Sur le plan démographique, l’Union européenne ne progresse plus alors que l’Afrique se montre dynamique, générant des besoins alimentaires et posant la question des relations Nord/Sud : nous avons plus intérêt à regarder vers le Sud que vers l’Ouest ou l’Est. (…)

 

C’est inacceptable !

Nos politiques manquent de vision : le court terme, c’est bien mais essayons de nous projeter ! (…) L’agriculture est un secteur majeur de l’économie française et il est essentiel que la France défende son modèle agricole dans sa diversité. Un secteur qui n’a pas le soutien proportionnel à ce qu’il représente dans le pays à cause des normes, de la réglementation, etc. Il existe un potentiel d’emplois dans l’agriculture et l’agroalimentaire à condition de simplifier nos conventions collectives. (…) Il faut mettre le compte pénibilité à la poubelle ! (…) Nous demandons le plus de pragmatisme possible dans le programme d’actions de la cinquième directive nitrates. (…) Quelle que soit la classification des cours d’eau, vous êtes répréhensibles si vous n’avez pas demandé une autorisation pour réaliser des travaux d’entretien : c’est inacceptable ! Or cela peut être des fossés ou des rigoles… La ministre de l’Environnement a accepté de reprendre la cartographie pour autoriser les interventions sur tout ce qui n’est pas un cours d’eau en tant que tel. (…) Notre pays doit revenir à la norme de l’Union européenne et cesser de sur-transposer : comment expliquer, sur un marché unique, que nous ayons des règles différentes d’un pays à l’autre ?

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