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«On n’arrête pas la technologie !»

Innover ou décliner ? Le mardi 9 juin, l’économiste Nicolas Bouzou donnait une conférence à Saint-Jean-le-Blanc, dans le cadre des Rencontres Groupama : il répond à nos questions.

La conférence a passionné l’auditoire.
La conférence a passionné l’auditoire.
© Olivier JOLY

Loiret agricole et rural : Au cours des prochaines années, le monde doit-il s’attendre à des innovations de grande ampleur, sachant que nous en avons déjà beaucoup connues :
téléphonie mobile, Internet, etc. ?

Nicolas Bouzou : Oui, bien évidemment ! Il y a cinq grands types d’innovations aujourd’hui : les nanotechnologies, les biotechnologies, qui intéressent plus particulièrement les agriculteurs, l’impression 3D, l’information et Internet. Certes, cela a commencé il y a déjà longtemps : les progrès continuent. Sans oublier l’intelligence artificielle. Cinq grands types d’innovations dont on commence à voir des déclinaisons dans la vie réelle. Par exemple, des voitures sans chauffeur circulent aux États-Unis. Une technologie que, d’une certaine façon, les agriculteurs connaissent bien puisque beaucoup de tracteurs sont sans chauffeur. Citons également les drones, la génétique, les nouvelles techniques d’imagerie, les nanotechnologies qu’on met dans les matériaux de construction, etc. Ces innovations très significatives présentent deux particularités par rapport à tout ce que nous avons pu observer dans l’histoire : leur nombre, très important, et la rapidité avec laquelle elles se diffusent dans l’économie. Internet s’est diffusé en une dizaine d’années. Historiquement, une innovation s’est également diffusée en une dizaine d’années, c’est la télévision. Mais Internet est plus important que cette dernière parce qu’Internet change le commerce ou la façon d’écouter de la musique. On le voit encore dans l’actualité avec l’arrivée d’Apple sur le marché du streaming.

LAR : Innover ou décliner, pour reprendre le titre de votre conférence : est-ce à dire qu’on n’a pas le choix ?

N.B. : On a parfaitement le choix de ne pas suivre l’évolution si c’est une véritable stratégie. Imaginons que je sois un artisan d’art et que je décide de baser mon avantage compétitif sur le fait de ne pas suivre les évolutions technologiques et de le faire payer au client parce que ce sera cher étant donné que je ne bénéficierai pas de gain de productivité. Je ne sais pas si cela peut marcher mais c’est une stratégie tout-à-fait respectable. En revanche, si l’idée consiste à refouler… Par exemple, un moniteur d’auto-école qui considérerait que la voiture sans chauffeur ne fonctionnera pas prendrait un immense risque. On n’arrête pas la technologie. On peut avoir peur de celle-ci ou au contraire l’aimer. Quoi qu’il en soit, on ne l’arrête pas ! On n’a arrêté ni le chemin de fer ni la voiture : on n’arrêtera pas la voiture sans chauffeur ! Soit on refuse une telle évolution et cela ne peut concerner qu’un tout petit nombre de gens, soit on en fait un avantage compétitif. C’est-à-dire qu’on se réinvente par rapport à ce nouvel environnement technicoéconomique. Cela peut être extraordinaire et être une renaissance pour une entreprise !

Faire des propositions crédibles

LAR : Les peuples ont le sentiment d’être écrasés par la mondialisation ultra-libérale :
en quoi les évolutions que vous décrivez peuvent-elles être source d’opportunités ?

N.B. : Vous avez deux grandes parties dans la société. L’une bénéficie de ces innovations. Par exemple, ce sont tous ces jeunes qui sortent des grandes écoles, qui voyagent. Ou ces dirigeants d’entreprises et leurs salariés branchés Facebook, Be and Be, Apple, Uber, etc. Tous ces gens-là bénéficient de la mondialisation libérale et s’enrichissent beaucoup, ce qui est très bien. D’un autre côté, tout une partie de la société est perdante dans ce nouveau schéma. Je prenais précédemment l’exemple du moniteur d’auto-école mais j’aurais également pu prendre celui du libraire. Le défi pour les intellectuels et la sphère politique consiste à construire un discours s’adressant à ces gens-là. Aux perdants de la mondialisation libérale comme vous dites ! Cela passe par beaucoup plus de flexibilité dans nos économies, notamment pour continuer de développer l’entreprenariat, et par une profonde réforme de notre système de formation. L’enjeu : dire à ces gens-là : «Vous êtes un libraire. Vous êtes un entrepreneur. Vous savez tenir une entreprise : c’est très important. On va partir de cela et vous aider à vous réinventer. Pour cela, vous aurez des formateurs de très haut niveau, dont certains peuvent venir d’Amazone… » Essayons d’être astucieux ! C’est quand on aura réussi à faire des propositions crédibles que la partie sera gagnée et qu’on pourra entrer dans ce cycle d’innovations. Aujourd’hui, la seule réponse politique apportée à ces gens-là émane du Front national. Tous les pays connaissent une poussée similaire de l’extrême droite, dont le discours est le suivant : plutôt que de s’adapter au monde qui vient, on va essayer de retourner dans celui d’avant.

LAR : Vous avez parlé de flexibilité. Or, souvent, celle-ci s’apparente à une forme de précarité…

N.B. : C’est une erreur absolument majeure ! Les pays les plus flexibles dans le monde sont les plus prospères. Prenez la Suisse, le Danemark ou l’Autriche, tous trois proches de nous : ce sont des pays extrêmement flexibles. Avec aussi de la sécurité sous forme de formation. C’est un peu ce dont je parlais précédemment. Mais ce sont des pays dans lesquels les salaires sont élevés, où il n’y a pas de chômage et où le sentiment de satisfaction des citoyens est très important. Richard Florida, économiste américain, a publié une étude selon laquelle, dans une série de villes d’outre-Atlantique, les gens étaient d’autant plus optimistes quand l’économie détruisait et créait autant d’emplois. L’optimisme vient de la flexibilité. La flexibilité, c’est la vie. Ce n’est pas nécessairement de la précarité. Je prends un exemple tiré de l’actualité parce que je connais bien le sujet : les chauffeurs indépendants que fait travailler Uber sont bien moins précaires que les chauffeurs de taxis. La vraie précarité se trouve chez ces derniers. Y compris ceux qui sont salariés. En revanche, la dynamique est du côté d’Uber : ils possèdent de belles voitures et peuvent travailler comme ils le veulent, sans avoir de licence à rembourser. L’avenir est à eux !

LAR : Que doivent faire les entreprises et les territoires pour s’adapter à ces changements ?

N.B. : J’ai employé précédemment le terme de réinvention. Les entreprises doivent se dire : «On a du capital physique, intellectuel et financier : comment l’utiliser pour se mettre en cohérence et bénéficier de ce nouvel ordre technicoéconomique ?» S’agissant des territoires, ce sont des questions de politiques publiques. Après, tout dépend de quel territoire on parle, surtout en France, où il y en a de plusieurs types. Prenons le cas de la Région : sa politique doit être basée sur l’innovation. Transferts de technologies, aides aux entreprises, pôles de compétitivité, formation, etc. La formation professionnelle va échoir aux grandes Régions : il y a des politiques très importantes à mener. Mais cela doit se faire à tous les niveaux : européen, français et local.

Groupama Paris Val de Loire accélère son développement

La déclinaison loirétaine des Rencontres Groupama avait lieu le mardi 9 juin à Saint-Jean-le-Blanc. L’occasion de dresser un bilan de l’activité de l’assureur mutualiste. En 2014, Groupama Paris Val de Loire a réalisé un chiffre d’affaires de 604,9 millions d’euros. Activité assurance-dommages : 493,4 millions d’euros. Activité assurance-vie et finances : 111,5 millions d’euros.

Par rapport à 2013, la Caisse régionale (sept départements) maintient ses résultats : dans un contexte économique délicat, c’est déjà une performance ! François Delaisse, secrétaire général de l’entité : «Le marché de l’assurance est mâture : la matière à assurer ne croît pas.» Mais le dirigeant évoque aussi une dynamique commerciale forte : «Nous sommes dans une phase de relance commerciale : automobile, habitat et agriculteurs, chez lesquels nous sommes numéro un. Nous souhaitons le rester et accélérer notre développement sur le marché des professionnels : artisans, chefs d’entreprises, etc.»

Un accord avec la profession agricole

Augmenter les tarifs aurait pu être un moyen de doper le chiffre d’affaires : un artifice auquel Groupama n’eut pas recours. «Nous avons la volonté d’une évolution tarifaire mesurée commente François Delaisse. Une stratégie différente n’apporterait pas des résultats pérennes. Nous évoluons dans un environnement concurrentiel : nous devons rester sur le marché.» L’assureur mutualiste appuie sa compétitivité sur la maîtrise de sa sinistralité : «Sur les assurances de masse, automobile et logement, nous obtenons de très bons résultats techniques.» L’indicateur de performance économique est le ratio combiné. Soit le rapport sinistres + frais de gestion sur cotisations. Groupama Paris Val de Loire réalise 96 %, mieux que l’objectif du groupe, fixé à 98 %. Un bon ratio signifie que les cotisations ne sont pas surévaluées et que les frais de gestion sont maîtrisés : il reste de l’argent pour investir ou recruter.

Deux éléments tempèrent toutefois les résultats de Groupama Paris Val de Loire. Premièrement, les aléas climatiques. Les grêles du week-end de la Pentecôte 2014 ont représenté une facture de cinquante millions d’euros : serres, cultures, toitures, voitures, etc. Les dommages corporels suite à des accidents de la circulation constituent l’autre point noir. L’an dernier, six sinistres majeurs ont été enregistrés. Le phénomène touche non seulement les conducteurs et leurs passagers mais également des usagers tiers : piétons, cyclistes, etc. Sur un sinistre concernant un enfant gravement blessé, l’assureur mutualiste a provisionné vingt-cinq millions d’euros. «Nous avons gagné cinq points à l’indice de satisfaction» se réjouit le secrétaire général de l’organisation. Par ailleurs, en matière de santé des retraités agricoles et des actifs, un accord passé avec la profession (FRSEA et FDSEA) est entré en application le 1er juin dernier.

Diplômé de l’université Paris-Dauphine, Nicolas Bouzou dirige le cabinet d’analyses et de prévisions économiques Asterès, qu’il a fondé en 2006 et qui compte pour clients des collectivités locales, des grandes entreprises et des gouvernements. Ses travaux portent sur la croissance, la politique économique, l’organisation territoriale et la santé.

Nicolas Bouzou est également :
• Directeur d’études et enseignant en MBA (Master of Business Administration) au sein de l’école de droit et de management à l’Université Paris II-Assas.
• Vice-président du Cercle Turgot, qui regroupe des dirigeants de grandes entreprises et des responsables politiques : cercle de réflexions, d’analyses et de propositions à vocation principalement économique et financière, en liaison avec l’Institut de Haute Finance (IHFI).

Figure emblématique des jeunes économistes français, il est fréquemment sollicité par les médias, participe à de nombreuses émissions TV ou radio (BFM, LCI, France 2, France 5, RTL, France Inter, etc.) et collabore avec les plus grands journaux français : le Figaro, les Echos, le Monde et le Financial Time. Nicolas Bouzou est l’auteur de plusieurs livres en économie et en finance : Pourquoi la lucidité habite à l’étranger ? (JC Lattès, 2015) ; l’Arbre qui tombe et la forêt qui pousse (JC Lattès, 2013) ; le Chagrin des classes moyennes (JC Lattès, 2011) ; la Politique de la jeunesse, co-écrit avec Luc Ferry (Odile Jacob, 2011) ; le Capitalisme idéal (Eyrolles, 2010) ; Krach financier : emploi, crédits, impôts, ce qui va changer pour vous (Eyrolles, 2008) ; Petit précis d’économie appliquée à l’usage du citoyen pragmatique (Eyrolles, 2007) ; les Mécanismes du marché : éléments de microéconomie (Breal, 2006).

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