Maraîchage sans eau : une pure illusion
Après le témoignage diffusé par des médias nationaux d'un maraîcher essonnien n'ayant pas recours à l'eau pour ses productions, le monde agricole francilien a vivement réagi.
Après le témoignage diffusé par des médias nationaux d'un maraîcher essonnien n'ayant pas recours à l'eau pour ses productions, le monde agricole francilien a vivement réagi.
Voilà quelques jours que les agriculteurs franciliens ont découvert, dans plusieurs médias nationaux, le témoignage d'un maraîcher essonnien qui se passe de l’eau pour faire pousser ses productions et qui tire à boulet rouge sur ceux qui utilisent « de l'eau, des engrais et des pesticides » en les qualifiant de « fainéants ». Des propos qui ont évidemment fait réagir et que bon nombre de paysans ont vécu comme une agression. Mais alors, la question devrait-elle légitimement se poser en Île-de-France ? Les maraîchers peuvent-ils vraiment se passer de l'eau ? Absolument pas, s'accordent à dire les experts. Décryptage.
L'eau, un des facteurs clés de la production
« Cultiver des fruits et légumes sans eau est une pure illusion, tranche d'emblée le conseiller maraîchage de la chambre d'Agriculture de région Île-de-France, Stéphane Rolland. On perd systématiquement la sécurité de la production, en particulier pour les cultures d'hiver, carottes, panais, céleri, betteraves… que l'on sème tard et qui ont forcément besoin d'eau pour germer et s'enraciner. Dans certains cas comme celui de ce maraîcher, la nature des sols, argilo-limoneux, permettent d'arroser peu ou de limiter la fréquence mais dans des terres plus légères, c'est suicidaire ».
Le conseiller maraîchage souligne que les années sèches étant de plus en plus fréquentes, les exploitations maraîchères franciliennes s'équipent progressivement de matériels de plus en plus performants permettant une irrigation localisée et une automatisation des cycles d'arrosage. « Les enjeux climatiques et écologiques nous obligent à œuvrer pour réduire notre consommation, mais l'eau reste un des facteurs clés de la production maraîchère ».
« En aucun cas un modèle reproductible partout »
Une position que partage pleinement le président de l'Union des producteurs de fruits et légumes (UPFL), Jean-Claude Guéhennec, attristé par ce reportage qui pourrait causer du tort de manière injustifiée aux maraîchers, notamment face à la clientèle sur les marchés. « Essayez de faire pousser une salade sans eau en plein été, lance le producteur yvelinois, vous n'êtes pas prêt de récolter quelque chose de vendable, de consommable et qui soit digne de faire tourner une exploitation ! ». Pour lui, les pratiques de ce maraîcher essonnien ne doivent pas être ignorées mais il ne faut surtout pas en faire une généralité. « Si c'est possible sur son exploitation, tant mieux pour lui. Mais ce n'est en aucun cas un modèle reproductible partout et encore moins sur l'ensemble des productions. Il n'y a pas de miracle, des pommes de terre ou des potirons sans eau, il n'y aura aucun rendement. C'est exactement le même principe qu'un humain qui ne boirait pas en pleine période de sécheresse ou de canicule. Je vous laisse en déduire l'issue ».
« L'eau, c'est du bon sens »
Installé à Saclay (Essonne), le maraîcher Pierre Bot n'est distant que d'une petite dizaine de kilomètres de l'exploitation en question située à Marcoussis. D'un point de vue géologique, les deux plateaux sont cousins, avec des caractéristiques de sols très similaires. Pourtant, Pierre Bot affirme qu'il n'envisagerait jamais de se passer d'eau pour ses productions malgré la qualité de ses terres : « Nous avons la chance d'avoir des limons profonds qui assurent une bonne capillarité du sol et qui nous offrent une résistance intéressante aux épisodes secs. Mais ce n'est pas pour autant que l'on peut se passer d'eau ! À partir du moment où l'on met en culture, si le sol est sec, la graine n'a aucune chance de s'implanter, ni de germer si on ne lui apporte pas d'eau. C'est du bon sens ». Le maraîcher reste donc très interrogatif sur la méthode, surtout sur les cultures d'hiver. « Personnellement, je suis incapable de produire des carottes, des pommes de terre ou des betteraves sans eau, mais si ce confrère a la solution pour m'économiser de la main-d'œuvre cela m'intéresse beaucoup ». Le maraîcher reste dans l'incompréhension totale que sa profession ait pu être qualifiée de « fainéante ». « Chez moi, l'arrosage représente minimum quatre à cinq heures de travail quotidien en pleine saison, alors c'est tout sauf un truc de fainéant. C'est dommage de taper sur les autres pour se mettre en avant. »