La lutte contre les dépôts sauvages continue
Après avoir participé à l'écriture d'une charte pour lutter contre les dépôts sauvages, élus et responsables agricoles souhaitent passer à la vitesse supérieure.
Après avoir participé à l'écriture d'une charte pour lutter contre les dépôts sauvages, élus et responsables agricoles souhaitent passer à la vitesse supérieure.
En cette période post-fêtes, découvrir des sapins de Noël jetés en bordure des champs n'est pas rare, alors même que les communes mettent souvent à disposition des espaces dédiés. « Le problème, c'est que je trouve aussi du plâtre, des pneus, des baignoires cassées… de tout, en fait », soupire Paul Dubray, agriculteur à Boissy-l'Aillerie (Val-d'Oise), également président du syndicat local du Vexin et conseiller départemental en charge de la ruralité et des relations avec le monde agricole.
Le Département du Val-d'Oise a identifié plus de 250 points de dépôts illégaux de déchets. Il estime à 14 millions d'euros annuels le coût de leur résorption. À l'initiative de la Fédération française du bâtiment (FFB) Val-d'Oise, le Département avait signé en 2022 la première charte en France de lutte contre les dépôts sauvages pour sensibiliser tous les acteurs à ce fléau.
Des fausses entreprises de résorption des déchets
En région Île-de-France, les dépôts sauvages représentent jusqu'à 25 kg par habitant et coûtent entre 7 et 13 euros par habitant. Derrière ces tonnes, il y a des particuliers qui n'ont pas envie de se rendre à la déchetterie, mais aussi des entrepreneurs indélicats, qui passent parfois par des fausses entreprises pour les débarrasser de leurs gravats ou autres déchets. Il y a quelques années, William Vinand, délégué général de la FFB Val-d'Oise, s'était livré à un exercice : il avait passé une annonce sur un site faisant croire qu'il recherchait une prestation de service pour enlever des déchets. En quelques minutes, il avait obtenu plus de cent réponses de structures ayant de faux Siret ou des numéros de téléphone fictifs… Un « business » parallèle qui consiste la plupart du temps à transporter les déchets dans un bois, une prairie… ou un champ. « Et voilà comment nos champs deviennent des poubelles », commente Paul Dubray.
Même les voies légales de ramassage et résorption suscitent quelques inquiétudes. Au printemps, le Smirtom (Syndicat mixte de ramassage et de traitement des ordures ménagères) du Vexin ne devrait proposer plus qu'un seul bac au lieu de deux actuellement aux entreprises de la zone industrielle. « Nous allons nous retrouver avec de nouveaux dépôts sur les bras, j'en suis sûr », se désole Paul Dubray. Autre sujet, la REP bâtiment (Responsabilité élargie des producteurs), entrée en vigueur l'année dernière, est « en théorie une bonne idée, puisque les entreprises du secteur pourront déposer leurs déchets gratuitement dans des centres de traitement. En pratique, ça ne marche pas, car ces centres ne sont pas prêts pour le moment à les recevoir », note William Vinand. La FFB propose d'ailleurs d'organiser un « contrat de sous-traitance REP » avec les prestataires déjà existants et opérationnels sur le sujet.
Vers des sanctions plus lourdes
L'enjeu capital en la matière, c'est sans nul doute la prévention. Boissy-l'Aillerie, la commune de Paul Dubray, s'est équipée il y a un mois de barrières et de caméras. « Le simple panneau ''Village sous vidéosurveillance'' peut être dissuasif », estime l'agriculteur. Les départements peuvent aider les communes à financer de tels dispositifs.
Mais pour les élus, cela ne suffit pas. « Nous allons désormais aller sur le terrain judiciaire. Il faut que les gens, notamment les maîtres d'œuvre ''clients'' des fausses entreprises de désencombrement, soient sanctionnés plus sévèrement », souligne William Vinand. Une prochaine réunion de l'ensemble des acteurs ayant signé la charte est prévue au premier trimestre pour évoquer cette judiciarisation possible.
« Nos champs ne doivent plus être des poubelles », conclut Paul Dubray. Le thème de la lutte contre les dépôts sauvages est d'ailleurs celui de la prochaine AG du syndicat du Vexin, le 1er février prochain.
Dépôts sauvages : que dit la loi ?
Les principaux textes réglementaires et législatifs qui régissent les principes et modalités de la gestion des déchets sont regroupés au sein du Code de l’environnement. Le déchet y est défini comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ».
Le maire détient différents pouvoirs de police administrative et judiciaire lui permettant de faire cesser et de sanctionner les atteintes à la salubrité, la sûreté et la sécurité publique, ainsi que les atteintes à l’environnement liées à l’abandon ou aux dépôts illégaux de déchets.
Les articles R.632-1 et 635-8 du Code pénal interdisent et sanctionnent de peine d’amende allant de 68 euros à 1 500 euros les dépôts de déchets.
Depuis la loi du 10 février 2020, ces dépôts peuvent être constatés par vidéosurveillance, après une autorisation préfectorale qui désigne les agents habilités à visionner les images. Les amendes peuvent alors grimper jusqu'à 15 000 euros, avec mise en fourrière du véhicule ayant servi à commettre l'infraction.
La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » a créé au sein du Code de l’environnement un nouvel article L.231-2 qui réprime le dépôt ou l’abandon illégal de déchets lorsque celui-ci provoque une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Ce délit d'écocide est puni de trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Disaitek, la start-up qui surveille les dépôts par satellite
Depuis mai 2022, le Département du Val-d'Oise et le syndicat mixte Val-d'Oise numérique ont mandaté l'entreprise val-d'oisienne Disaitek pour expérimenter une solution innovante dans la lutte contre les dépôts sauvages.
Disaitek s'appuie sur des images satellite et de l'intelligence artificielle. « L'idée est d'automatiser la détection. Il faut savoir que les renseignements humains ne signalent que 15 % de ce que l'on trouve, explique Anthony Graveline, cofondateur de Disaitek. Grâce à l'IA, nous sommes capables de faire de la détection automatique sur des territoires vastes, dans des zones urbaines, isolées ou semi-boisées. »
Le choix d'avoir recours à des satellites à très haute résolution permet de capter des événements de petite envergure, c'est-à-dire des dépôts de 4 à 5 m2. Les images sont prises une fois par mois, afin d'éviter l'accumulation de gros volumes qui passeraient inaperçus.
La solution imaginée par les fondateurs de Disaitek calcule aussi le risque environnemental, puisqu'elle évalue la distance entre le dépôt et les cours d'eau avoisinants. Elle détecte également les rehaussements suspects et les éventuels détournements de foncier agricole.