[Crise agricole] L’Eure-et-Loir traverse une crise agricole sans précédent
La crise qui secoue le monde agricole eurélien depuis la dernière récolte continue d’égrener son chapelet de conséquences. Il y aura un avant et un après. Plutôt que de multiplier les exemples, nous avons voulu rencontrer ceux qui sont en contact avec les agriculteurs en difficulté et interroger les responsables des principales organisations professionnelles pour brosser le panorama du secteur et, peut-être, dégager des solutions.
Chaque exploitant du département subit la crise qui frappe le monde agricole depuis la dernière récolte. La pire de mémoire d’agriculteur.
Comme l’a déclaré, dès le début, le président de la chambre d’Agriculture, Éric Thirouin : « il y aura un avant et un après 2016, rien ne sera plus comme avant... ».
En attendant, nous sommes au moment où les conséquences commencent réellement à se faire sentir, d’autant que la moisson famélique se double de prix bas — pour tous les secteurs — et ce depuis quelques années.
Et de fait, quand les exploitants souffrent, c’est tout l’écosystème autour de lui qui souffre en même temps. Alors nous avons demandé aux responsables des principales OPA du département de nous livrer leurs réflexions, leurs propositions pour sortir de cette mauvaise passe.
La vie de paysan n’a jamais été un long fleuve tranquille et, avec la mondialisation, plutôt un océan qu’un fleuve d’ailleurs. Mais ce grain qu’a subi l’Eure-et-Loir en 2016, est propre à en avoir fait chavirer plus d’un. « Il faut prendre en compte la dimension psychologique de la situation », souligne le président de la caisse régionale du Crédit agricole, Dominique Lefèbvre, « c’est un véritable drame qui se noue pour beaucoup, et ceci impose d’opérer avec humanité ».
La première chose importante est certainement « de ne pas rester seul dans sa ferme », comme le conseille le directeur départemental du CER France alliance Centre, Vincent Bouteleux, et « de ne pas croire que la situation s’est améliorée d’un coup et continuer d’accompagner tous les agriculteurs. Le plus dur restant à venir pour certain », rappelle le président de la FDSEA, Jean-Michel Gouache.
« Je crains que le plus dur ne soit encore devant nous », confirme Dominique Lefèbvre, qui note que « certains agriculteurs se méfient d’un recours trop important à l’endettement, et la mise en œuvre du plan de consolidation est pour l’instant plus faible que prévu ».
Il y a deux types de réaction, constate Vincent Bouteleux : « ceux qui veulent anticiper un hiver difficile en terme de trésorerie et qui nous ont contactés pour avancer la date de leur bilan et les agriculteurs que nous avons des difficultés à faire venir en rendez-vous, parfois ceux qui sont dans les situations les plus délicates ».
Tout a été dit sur les mécanismes météorologiques et physiologiques qui ont conduit à cette catastrophique moisson. À défaut d’avoir pu prévoir — personne ne l’a fait d’ailleurs — il va falloir anticiper la prochaine crise.
Pour le président des coopératives d’Eure-et-Loir, François Barret : « Le pire serait d’avoir une posture statique, ou de ne mettre en place que des mesures conjoncturelles ». Selon lui la crise, par son ampleur, « a des conséquences structurelles sur nos exploitations et donc sur nos coopératives ».
Des mesures ont très rapidement été prises : « Dès juillet, nous avons participé activement aux cellules de crise afin de mettre en place un plan de soutien qui réponde aux attentes des agriculteurs », souligne Jean-Michel Gouache.
De son côté, Vincent Bouteleux précise : « Nous avons analysé tous les dossiers de nos clients cet été, en vue de détecter le niveau d’urgence ».
Même son de cloche au Crédit agricole : « Les agriculteurs ont, pour la plupart, pu faire le point avec leurs interlocuteurs habituels », affirme Dominique Lefebvre.
Au niveau des coopératives : « nous avons décliné une série de mesures pour faciliter l’accès de nos adhérents aux intrants agricoles », pointe François Barret, qui ajoute : « l’accompagnement individuel, tant pour trouver les meilleures solutions agronomiques que pour dialoguer plus largement sur les difficultés ou les perspectives de l’exploitation, fait partie du relationnel-terrain développé par les coopératives au fil des années ».
Et pour mieux assurer cette présence sur le terrain, de nombreuses OPA se sont engagées dans des programmes de formation pour leurs employés, soit en interne, soit auprès de la MSA qui dispose d’une cellule spécialisée.
Quant aux solutions pour ne plus connaître une telle situation, pour la plupart des OPA elles reposent sur les assurances, mais elles évoquent également des mécanismes plus politiques : « Il faudrait revenir à une légère régulation des marchés », pour David Faucheux. « Il faut cesser l’hémorragie de la diminution des droits à paiement de base de la Pac en Eure-et-Loir qui a déjà diminué de 44 euros par hectare depuis 2014 », pointe Éric Thirouin, qui ajoute : « il faut ensuite des dotations pour amortissement plus souples ».
Pour François Barret : « Il faudrait pouvoir abonder à une épargne de précaution (DPA) les années fastes et gérer cette épargne tout au long de sa carrière » ... ou agronomiques : « Il faudrait étudier les possibilités de diversification de son assolement et les différentes opportunités de mieux gérer le risque prix — contractualisation des cultures, stratégies de commercialisation », estime le président de la Fédération des coopératives.
Pour Vincent Bouteleux : « il faut être capable de prendre du recul et oser se remettre en question, accepter de mutualiser des moyens techniques, analyser son prix d’équilibre chaque année ». Et en attendant, croiser les doigts pour que la récolte de cette année soit normale...
Côté chambre : Dès le début, la chambre d’Agriculture d’Eure-et-Loir a été très sollicitée. Aussi a-t-elle mis en place le 1er septembre, une cellule d’écoute et d’accompagnement avec un numéro vert gratuit. Au bout du fil, trois assistantes spécialement formées à l’écoute des agriculteurs en difficulté. D’autre part, sur son site Internet, une page dédiée à la crise a été créée. Elle regroupe toutes les informations utiles sur le plan technique, un rappel des mesures mises en place par les différents organismes, les contacts utiles et propose un outil pour évaluer le situation de trésorerie des exploitations.
Par ailleurs, l’ensemble des conseillers de la chambre consulaire sont mobilisés pour apporter un appui technique gratuit de deux heures à tout agriculteur qui en ferait la demande. La chambre d’Agriculture a également sollicité le soutien du conseil départemental, celui-ci s’exprime par la prise en charge de 50 % du coût du contrôle de performance pour les élevages ou de son adhésion à un groupe de développement agricole. Enfin, avec le soutien financier du conseil régional, c’est un diagnostic global de son exploitation tenant compte de la totalité des éléments de son entreprise qui est pris en charge. Car : « oui, il nous faut rebondir, prendre du recul sur cette situation qui n’est pas que conjoncturelle malheureusement », souligne le président de la chambre eurélienne, Éric Thirouin.
La solution de l’assurance multirisques climatiques : Lorsque l’on demande aux OPA quelles seraient les solutions à envisager pour éviter que ce type de situation se reproduise, la réponse est souvent d’ordre assurantiel. « Il est évident que la gestion des risques doit être mieux prise en compte dans la conduite de l’exploitation. Cela passe par un panachage de solutions comme étudier l’opportunité de prendre une assurance multirisques », souligne François Barret. « Ce genre d’aléa climatique n’avait jamais été observé. La seule solution pour l’agriculteur est l’assurance », confirme Olivier Laboute. « Il faut travailler à améliorer le système d’assurance climatique actuel afin de le rendre attractif et plus facile d’accès pour tous », pointe Jean-Michel Gouache.
Concrètement, pour Alain Huet, le président de la fédération départementale de Groupama : « les travaux se poursuivent sur la multirisques climatiques, en collaboration avec les représentants de la profession et les pouvoirs publics, car l’aspect réglementaire est bien entendu incontournable pour bénéficier des subventions de l’assurance récolte ». En 2016, Groupama a versé 42 millions d’euros pour indemniser ses sociétaires couverts par une assurance climatique, dont six millions pour ses sociétaires euréliens. « Malgré les différents débats nous pensons que la multirisques climatiques est une solution qui concilie un coût supportable et une solution face aux coups durs. Toutefois, ce risque n’est pas aujourd’hui équilibré sur une période d’observation de dix ans », relève-t-il.
Côté concessions : Face à l’ampleur de cette crise, les concessionnaires : « proposent des financements à taux zéro pour les grosses réparations », précise le président départemental du Sedima, Olivier Laboute. Mais ils doivent faire face pour la plupart à une baisse d’activité : « certains d’entre nous ont mis en place des journées de chômage technique... » Selon lui : « nous allons devoir gérer nos trésoreries au plus juste, fidéliser nos clients pour qu’il continuent à venir entretenir leurs matériels en concession et limiter nos frais fixes au minimum ».