Compenser la perte du CICE
Pour les employeurs de travailleurs saisonniers, compenser la perte du crédit d’impôt compétitivité emploi est une nécessité. Les enjeux : le maintien de l’emploi dans les territoires ruraux et la compétitivité de l’agriculture française.
Comme annoncé par le Gouvernement, le projet de loi de finances pour la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 prévoira la suppression de l’exonération de charges pour les Travailleurs Occasionnels Demandeurs d’Emploi (TODE).
L’agriculture française, grande perdante de la réforme du CICE
Cet allègement de charges patronales spécifiques aux salariés saisonniers agricoles venait s’ajouter au Crédit impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE). Supprimés l’année prochaine, les deux dispositifs devraient être compensés par un allégement de charge général qui concerne tous les secteurs. Problème, dans sa forme actuelle, celui-ci sera dégressif à 1 Smic, alors que la barre était fixée à 1,25 Smic pour le TODE. Avec les congés payés et les heures supplémentaires, les salaires des saisonniers se situent entre 1,1 et 1,2 Smic.
Malgré l’effort porté par les pouvoirs publics en vue d’alléger les charges patronales, la suppression cumulée du CICE et du TODE engendrera une perte sèche de l’ordre de
144 millions d’euros1 pour l’agriculture française. La perte financière, pour un employeur par contrat saisonnier à 1,10 (SMIC + ICCP) se chiffrerait à 189 euros par mois.
Un renchérissement du coût du travail qui accentue la perte de compétitivité de l’agriculture française et menace la pérennité des productions les plus employeuses de main d’œuvre
Le coût du travail saisonnier est un facteur important de compétitivité par rapport aux autres productions. Au-delà des pays avec des salaires horaires beaucoup plus bas qu’en France (Pologne, Maroc), le coût du travail saisonnier fait l’objet de très fortes disparités en Europe. En Allemagne, le coût pour l’employeur d’une heure de travail saisonnier est de 8,84 euros, contre 12,11 euros en France. Les contrats de travail inférieurs à 70 jours sont exonérés de charges sociales outre-Rhin. Idem en Italie ou en Espagne où le coût horaire est entre 35 % et 37 % moins cher qu’en France, grâce à des salaires minimums plus faibles. Pour rappel, au cours des
20 dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 30 % en France alors que, dans le même temps, elles progressaient de 30 % en Allemagne et aux Pays Bas : le coût du travail en est la principale raison.
Le relèvement des charges sur les saisonniers aura des conséquences directes sur les productions françaises. Alors que la mesure TODE permettait à la Ferme France de ne pas sombrer en termes de compétitivité vis-à-vis de ses voisins européens, cette suppression mettra définitivement en cause la pérennité de productions soumises à une concurrence féroce (arboriculture, maraîchage…) conduisant à l’augmentation des importations distorsives et, in fine, une perte de notre souveraineté alimentaire.
L’agriculture française attachée au maintien de l’emploi saisonnier et des savoir-faire dans les territoires
Compte tenu de la diversité des productions agricoles françaises, les gains et les pertes de la suppression du TODE se répartiront inéquitablement en fonction des secteurs et des régions. D’après les chiffres de la MSA, l’emploi saisonnier avait totalisé près de 164 millions d’heures en 2016, soit 13 % de l’ensemble des heures travaillées dans l’agriculture. Outre la viticulture, c’est le maraîchage, l’horticulture, les producteurs de semences et l’arboriculture qui sont les secteurs les plus consommateurs de ce type de contrats (939 510 contrats signés en 2016), et les plus impactés par une concurrence étrangère qui utilise toutes les possibilités de distorsions sociales (recours aux sociétés de prestation de services, salaires minimums plus faibles pour les saisonniers).
Pour compenser la perte financière engendrée par l’abandon du TODE, un grand nombre d’exploitants agricoles français n’auront d’autre choix, dans un marché européen ouvert, que de se tourner vers des prestations de services réalisées par des sociétés étrangères, condamnant les emplois et les savoir-faire, jusqu’alors pérennes, de plusieurs dizaines de milliers de saisonniers
(900 000 contrats) sur l’ensemble des territoires.
Une économie minime sur le budget de l’Etat, aux conséquences lourdes pour l’agriculture française
Le gouvernement minimise cette perte en mettant en avant le gain généré par l’amélioration de l’exonération générale pour les employeurs de salariés permanents. L’impact de la réforme du CICE pour l’ensemble de la Ferme France s’élèverait à une « perte » de 70 Millions Euros (la perte de 144 Millions Euros sur les saisonniers serait compensée par un gain de 74 Millions Euros sur les travailleurs permanents, du fait d’une exonération générale plus intéressante que le CICE pour les très bas salaires). Cette « perte » est à recontextualiser : elle représenterait 1,3 % du budget du ministère de l’Agriculture et 0,03 % du budget de l’Etat2.
Compte tenu du coût très restreint de la suppression du TODE pour les comptes de la nation (0,03 % du budget) et de l’importance du maintien d’une exonération spécifique pour les employeurs de saisonniers, nous demandons la conservation d’une exonération spécifique aux travailleurs saisonniers et l’amplification de toutes mesures visant à compenser effectivement les six points de perte du CICE. Cette demande s’inscrit dans la droite ligne du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, engagé à conduire l’agriculture française « vers la convergence sociale et fiscale au niveau européen »3
1) Chiffre Ministère de l’Agriculture – juin 2018
2) Source PLF 2018
3) Objectif n°2 du volet Agriculture du programme présidentiel d’Emmanuel Macron.