Témoignage
Ukraine : un agriculteur témoigne sur fond de liens étroits entre Lviv et l'Île-de-France
En ces temps de conflit aux portes de l'Europe, l'Île-de-France est particulièrement attentive au monde agricole ukrainien, des relations étroites étant nouées depuis des années avec la région de Lviv, à l'ouest du pays. Horizons a pu joindre un agriculteur qui décrit le conflit de l'intérieur. Récit.
En ces temps de conflit aux portes de l'Europe, l'Île-de-France est particulièrement attentive au monde agricole ukrainien, des relations étroites étant nouées depuis des années avec la région de Lviv, à l'ouest du pays. Horizons a pu joindre un agriculteur qui décrit le conflit de l'intérieur. Récit.
Voilà près de dix jours que la guerre est à nouveau présente aux portes de l'Europe. Dix jours d'effroi face à ce conflit déclaré par la Russie à l'Ukraine. Partout en Europe et dans le monde, l'émotion et les inquiétudes sont immenses. En Île-de-France, le monde agricole est particulièrement sensible à cette actualité car, traditionnellement, les liens avec l'Ukraine sont forts. La chambre d'Agriculture de région Île-de-France est en effet jumelée avec celle de Lviv, une commune de 700 000 habitants située à l'ouest du pays, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière polonaise. Avant la crise sanitaire, les voyages d'échanges entre les deux structures étaient fréquents.
Réveillés par les sirènes
Naturellement, dès les premières heures du conflit armé, la chambre d'Agriculture, par la voix de son président, Christophe Hillairet, a tenté de joindre ses contacts afin de prendre des nouvelles.
Parmi eux, un agriculteur, Bernard Wilem. D'origine belge, il est installé à quelques kilomètres de Lviv, depuis 1999. Il est à la tête d'une exploitation de 600 chèvres et de la seule fromagerie au lait cru du pays, la Ferme d'Elise. Il est également consultant en agriculture et importateur de matériel agricole et d'animaux reproducteurs.
Depuis dix jours, son quotidien et celui de toute sa famille sont bouleversés : « Nous avons été réveillés par les premières sirènes mardi dernier, qui nous avertissaient des tirs de missiles, notamment depuis la Biélorussie sur Lutsk. Nous sommes descendus à la cave avec ma femme et ma fille. Depuis, la situation se tend chaque jour un peu plus. On entend régulièrement les sirènes et on voit de nombreux survols d'avions et d'hélicoptères. Ces derniers jours, Lviv est barricadée et de nombreux checkpoints ont été mis en place ».
« Je resterai coûte que coûte »
« Moi, depuis le temps que je vis en Ukraine, poursuit-il, cela fait longtemps que je n'ai plus peur mais ma femme et ma fille sont terrifiées. J'envisage de leur faire quitter le pays si des tirs de missiles devaient avoir lieu près de chez nous. Moi je resterai. J'ai investi beaucoup d'argent et de temps dans mon exploitation, je ne peux pas envisager de la quitter sans craindre les pillages. Sans compter que tous les hommes de 18 à 60 ans sont appelés à se mobiliser pour le conflit, donc il est fort probable que dans un avenir proche je ne puisse plus compter sur mes dix salariés ».
L'agriculteur belge concède toutefois : « J'ai eu peur le premier jour, peur que Poutine parvienne à prendre Kiev rapidement. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il s'englue un peu alors je garde espoir et j'espère que l'Europe et l'Otan resteront en appui, aussi bien au niveau des sanctions financières à l'encontre de la Russie qu'en fourniture de matériel de guerre pour l'Ukraine ».
« La production d’engrais, c’est foutu »
Bernard Wilem anticipe aussi les répercussions sur l'activité agricole du pays et notamment la production d'engrais : « C'est foutu, tranche l'agriculteur. Compte tenu du prix de l'énergie aujourd'hui, les entreprises ne vont plus savoir produire. Il faut absolument que l'État renationalise le gaz et l'électricité ».
L'agriculteur évoque également la ruée vers les stations essence et les kilomètres d'embouteillage sur les routes qui mènent vers la Pologne. « Les gens arrivent de l'est, principalement de Kiev, pour fuir. Le voyage leur prend plusieurs jours. Ici, les hôtels sont pris d'assaut. La ville est bondée. Je ne cède pas à la panique. J'ai repéré quelques stations où faire le plein sans trop d'attente et j'attends de voir les prochains jours ».
« On fabrique des enragés »
Et Bernard Wilem d'ajouter à propos de l'armée ukrainienne : « Je suis admiratif de cette armée, qui a été reconstituée en 2014, qui n'a jamais combattu et qui, pour le moment, tient bon. Je sais en plus que de nombreuses armes sont déjà arrivées à Kiev. On sent également une belle résistance de la part des Ukrainiens. Ils s'organisent, ils sont nombreux, même parmi mes amis à Kiev, à s'être armés, à fabriquer des cocktails Molotov... Ils n'ont pas eu le droit de quitter le pays tandis que leurs femmes et leurs enfants sont partis. Ils n'ont plus rien à perdre, ils sont prêts au sacrifice ultime pour défendre leur pays face aux Russes. On fabrique des enragés ».