Art
Temps de pauses
Avec son projet photographique Identité paysanne, l’artiste Pauline Weber pose un regard touchant sur son père et l’attachement qui le lie à la terre de son enfance.
Avec son projet photographique Identité paysanne, l’artiste Pauline Weber pose un regard touchant sur son père et l’attachement qui le lie à la terre de son enfance.
L’apaisement, l’ancrage, et comme la certitude d’être au bon endroit. Ce sont les impressions qui se dégagent des photos de la série documentaire de Pauline Weber, Identité paysanne. Depuis 2018, la jeune femme photographie son père lorsqu’il retourne à sa campagne natale : au petit matin dans un pré embrumé, à la cave triant les pommes, assoupi sous le soleil ou l’oeil rivé à l'objectif.
L’homme revient très souvent à Fréching, le village lorrain où il a grandi, pour aider son frère et ses parents restés à la ferme pendant qu’il prenait un emploi à l’usine et choisissait la vie citadine. Étudiante en photographie, sa fille a choisi de lui consacrer son projet de fin d’études.
« Monter sur le tracteur, aller dans les champs, m’occuper des vaches, des poules, c’était quelque chose qui me tenait à coeur. quand j’étais petite ». Puis l’intérêt s’émousse : « C’est un petit village où il y a peu de monde, où il n’y a rien à faire... ». En parallèle, elle ressent un immense décalage entre leurs deux enfances : « Quand il me racontais cette vie-là, j’avais l’impression que ça venait d’un autre temps. »
Et a du mal à comprendre les choix de son père : pourquoi vivre tout près de son village natal et y retourner tous les week-ends, pourquoi « se contenter d’une vie simple à la ferme » quand il y a tant à découvrir ?
En le suivant à Fréching pour son projet photo et en adoptant son rythme, la jeune femme nuance son regard. « Le plus important n’est pas forcément le village en lui-même et ce qu’on y fait, mais la notion d’attachement à cette terre, à cette culture ». Un retour inlassable à l’enfance, d’une certaine façon.
« Je me suis rendue compte que j’étais plutôt fière de ça, souligne Pauline Weber. Ce projet, c’est aussi une manière de me retrouver avec qui je suis et d’où je viens, et de le garder en mémoire. (...) Je pense que c’est ma manière à moi de reprendre la ferme ». Et si les membres de sa famille ont du mal à comprendre l’intérêt que pourraient susciter leur histoire et leur village, elle tient à ce que « ce soit montré, vu, reconnu ».
Si photographier son père a été « presque inné » pour elle, lui a mis quelque temps à lâcher prise. Mais « il a compris ce que je recherchais et je n’ai plus besoin de lui dire de faire telle ou telle pose. Il est juste lui-même, dans un endroit qu’il connait. Dans cet espace-temps où je prends la photo et que plus rien autour n’existe, il est très à l’aise et n’a pas de honte de se montrer. »
Les photos le révèlent à lui-même : « Ce qui m’intéresse, c’est que les modèles découvrent une partie d’eux qu’ils n’avaient jamais rencontrée. Mon père a 63 ans et je pense que je suis la première personne qui le photographie vraiment. »
Et une fois les images développées et exposées ? « C’était juste son histoire, et maintenant elle appartient à tous ceux qui la regardent. C’est quelque chose qui le met peut-être un peu mal à l’aise... mais je sais qu’au fond de lui il est plutôt fier ! ». Le jour de la soutenance, il s’est d’ailleurs empressé de mitrailler l’expo photo avec son téléphone.
Pauline Weber a exposé un prototype de sa série en octobre 2020 au sein de son établissement nancéien, et compte bien être à nouveau exposée et publiée tout au long de la vie du projet.
Identité paysanne, ce sont deux cycles qui s’entremêlent : « Mon père vit à la ville mais revient inlassablement à la ferme. Et moi, je reviens en arrière pour comprendre pourquoi. » Deux éternels retours qui, par définition, ne sont pas prêts de s’arrêter : « Je compte bien le photographier sur 20 ans, sur 30 ans, jusqu’à ce que je ne puisse plus, jusqu’à sa mort. À travers ces photos, j’ai l’impression d’écrire dans le temps quelque chose qui ne pourra jamais disparaitre. »
Attirée par les arts depuis l’enfance, Pauline Weber vient d’obtenir son bachelor de photographie à l’École de Condé, à Nancy (Lorraine), et fait ses premiers pas dans la photo documentaire. « J’ai touché à tout : la photographie de commande, la photographie de studio, de mode, commerciale, de pub, d’objets... Et je me suis rendue compte que c’est la photographie documentaire qui m’apporte et me touche le plus. » Au cours de ses études, elle a ainsi monté la série photo Tournebride, auprès de personnes âgées vivant dans un Ehpad. « Je passais quatre, cinq heures avec la personne âgée dans sa chambre, je parlais avec elle et notait ce qu’elle disait. On passait un bon moment, je faisais les portraits en même temps ». Elle insiste sur l’importance de l’échange et de la confiance : « En photo documentaire, c’est important d’aller à la rencontre de l’autre... pour que mes projets ne soient pas du vol et que je ne donne rien en échange ». Elle a aussi réalisé une série avec des adultes handicapés, intitulée Les vacanciers, et se concentre actuellement sur un autre projet au long cours : Un été. Elle détaille : « j’ai envie de photographier mes amis tous les étés, le plus longtemps que je pourrai, et créer un édition où on les voit grandir et vieillir à travers l’objectif et où on voit aussi mon style photographique évoluer ».
Retrouvez les différents projets de Pauline Weber sur son compte Instagram.
Photos : © Pauline Weber - Identité paysanne