Cible de leur colère, le groupe Leclerc et sa politique de prix bas qui contribue à l’étranglement des producteurs. A Vitry-sur-Seine, en région parisienne, ils étaient près de 150 à avoir fait le déplacement des quatre coins de la France pour une action surprise dans le magasin Leclerc de la ville. L’objectif : vérifier l’origine des viandes et sensibiliser le consommateur à la nécessité de soutenir l’élevage français. Arborant des casquettes « Police des viandes », les éleveurs ont vérifié l’étiquetage, découvrant de la viande « origine UE » sans précision du pays producteur. Un étiquetage qui ne serait pas réglementaire, et vite remplacé par des stickers « baisse des prix aux éleveurs : les grandes surfaces s’engraissent ». La manifestation qui se voulait « ferme mais calme » s’est néanmoins musclée lorsque les éleveurs ont voulu se rendre dans la chambre froide pour vérifier les déclarations du directeur du magasin affirmant proposer à 90 % de la viande française. Refusant de n’envoyer qu’une petite délégation « pour des raisons de normes sanitaires » à la demande du directeur, les éleveurs ont tenté d’entrer en masse face à une cohorte de CRS qui les attendait à l’intérieur. Repoussés avec force, l’affrontement s’est poursuivi plusieurs minutes à grands jets de tomates, viande hachée puis à la lance à incendie. Les moyens déployés face à eux ont surpris les éleveurs qui n’ont pas manqué de souligner cette « complicité des pouvoirs publics ». « On n’a pas les moyens de contrôler dans les grandes surfaces mais on a les moyens de taper sur les producteurs » crient certains d’entre eux. Les consommateurs restent compréhensifs malgré le tapage. « Moi j’essaye de manger français, je ne prends pas forcément le moins cher même si j’ai une petite retraite », témoigne une cliente âgée. Une autre souhaite « bon courage » tandis que les manifestants se dirigent vers la sortie en interpellant les clients sur le chemin : « surtout n’achetez pas de viande ici ! ». Forte mobilisation Ce que les éleveurs dénoncent avant tout, c’est « le décrochage de plus en plus insupportable entre les prix payés au producteur, qui ne cessent de baisser, et les prix à la consommation qui sans cesse augmentent », rappelle Pierre Vaugarny, secrétaire général de la FNB. En un an, les éleveurs ont ainsi perdu 300 euros par animal. Ainsi déterminés à exprimer « leur désarroi face à la grande distribution qui à travers ses pratiques commerciales participe à l’étranglement d’une profession, de gens qui travaillent tous les jours pour des produits de qualité », les éleveurs se sont ensuite dirigés vers le siège social du groupe Leclerc à Ivry-sur-Seine, où la météo peu clémente n’a pas entamé leur motivation. « Michel-Edouard Leclerc aime répéter qu’il est proche des producteurs, il est plutôt très proche de son porte-monnaie », raille devant le bâtiment un éleveur venu de Moselle. Les organisateurs attendaient environ 100 personnes, ils étaient 50 de plus à avoir répondu présent, signe peut-être des difficultés extrêmes que traverse la filière viande. Face à eux, 160 CRS alignés empêchaient tout accès au parvis du bâtiment. En attendant que le groupe Leclerc accepte de les rencontrer, les éleveurs étaient nombreux à énumérer les contraintes qui pèsent sur leur travail. Outre les prix de plus en plus bas, ils citent les investissements faits pour moderniser leurs exploitations, la directive nitrates, les contrôles fréquents et les normes pointilleuses auxquelles ils se soumettent pour fournir une production de qualité, alors que les distributeurs semblent quant à eux bénéficier d’une liberté plus grande, regrettent-ils. « Avec tout ça, comment voulez-vous installer des jeunes aujourd’hui ? Et pourtant, un éleveur, c’est sept emplois induits », rappelle l’un d’entre eux devant l’assemblée. La manifestation recueille le soutien de l’ensemble de la profession : Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, rappelle qu’« il n’y a aucune explication pour ces prix rabaissés en ce qui concerne la viande rouge », ajoute-t-il. Après plus de deux heures de négociations, une délégation menée par Jean-Pierre Fleury, président de la FNB, finit tout de même par obtenir le droit d’être reçue, tandis que le reste des éleveurs est autorisé à monter les marches jusqu’au parvis du siège social. Reçus par Stéphane de Prunelé, numéro 2 du groupe Leclerc, ils reviennent après une heure de discussion, faussement enjoués : « on a bien fait de venir, figurez-vous qu’ils n’étaient pas au courant qu’il y avait une crise de l’élevage ! » s’exclame Jean-Pierre Fleury, provoquant l’indignation des manifestants. Seule avancée tangible, Leclerc a accepté de participer à une réunion qui devrait se tenir dans les quinze jours entre les producteurs, la FCD, les distributeurs indépendants, et les abattoirs, précise encore le président de la FNB. Les revendications des agriculteurs ne devraient pas se cantonner au secteur de la viande. « La rentrée syndicale commence par la viande bovine, mais elle se généralisera à d’autres productions car la spirale à la baisse touche tous les produits », conclut Joël Limouzin. |