Viticulture
Greffe : quelles tendances dans les vignobles ?
Benoist Charrier est pépiniériste à Pontlevoy. Il est en première place pour observer les évolutions des pratiques des viticulteurs.
Benoist Charrier est pépiniériste à Pontlevoy. Il est en première place pour observer les évolutions des pratiques des viticulteurs.
Installé depuis près de vingt ans à Pontlevoy, Benoist Charrier appartient au monde restreint des pépiniéristes viticoles. Chaque année, il greffe environ 500 000 plants, revendus ensuite à des viticulteurs. « On s'adapte à la demande des clients. Ils ont souvent plutôt des exigences au niveau des cépages, parfois des porte-greffes, mais c'est plus rare et ils nous laissent généralement choisir. » Depuis quelques années, le pépiniériste remarque que les habitudes des producteurs se modifient et s'adaptent aux nouvelles problématiques, notamment climatiques et sanitaires.
Retour à d'anciens cépages et porte-greffes
Première évolution constatée : le choix des cépages. Si le sauvignon reste emblématique dans le département, il semble néanmoins quelque peu reculer. Plusieurs raisons l'expliquent. Le marché d'abord : « Ces dernières années, on a eu de grosses récoltes, mais du fait d'en avoir eu des mauvaises avant, on a perdu quelques parts de marché. Les très bonnes années, on n'a donc pas réussi à vendre tous nos vins. La surface de sauvignon est sans doute aujourd'hui trop grande par rapport à notre potentiel de vente », indique Benoist Charrier.
Autres causes : le réchauffement climatique. « Il y a quinze ans, on a arraché de vieux cépages pas toujours faciles à cultiver et à vinifier. Mais avec le réchauffement climatique, ils sont désormais plus simples à faire mûrir et à valoriser. Aujourd'hui, il y a une réelle demande et on en manque. » Parmi ces cépages, on retrouve notamment le gamay et le pineau d'Aunis. Résultat cette année, Benoist Charrier a greffé 70 % de gamay.
Le pépiniériste voit également de « vieux porte-greffes » refaire surface. « On utilise des variétés qui régulent moins les rendements, permettent de faire plus de vins et sont plus vigoureuses. » Le 1103 Paulsen et le SO4 sont ainsi de plus en plus présents dans les vignobles de Loir-et-Cher. « Je me souviens la première fois que j'ai essayé le 1103 Paulsen. Je l'ai fait à la demande d'un vieux vigneron. Au départ, je n'étais pas ravi, car je ne connaissais pas et je ne savais pas où en trouver. Finalement, ça a vraiment très bien fonctionné et j'en ai fait la pub auprès de tout le monde. »
Arrivée de nouveaux cépages
Si de nouveaux cépages, laissés de côté pendant des années, reviennent en force, de nouvelles variétés font aussi leur apparition. Depuis trois ans, Benoist Charrier teste ainsi le floréal.
Celui-ci présente l'avantage d'être résistant au mildiou et à l'oïdium. « Seul un traitement par an est recommandé. Ce cépage est très vigoureux, très buissonnant et capable de faire de gros rendements. » Le floréal est également proche du sauvignon. « Vinifié comme tel, il peut vraiment s'y apparenter », affirme Benoist Charrier. Seul inconvénient : il est très sensible au black-rot.
De plus grosses greffes
Enfin, Benoist Charrier note que ses clients souhaitent de plus en plus avoir des « gros plants » de deux ou trois ans. « C'est plus joli, ils semblent plus résistants et effectivement quand on les met en place, ils sont plus costauds. Avec un jeune plant, il faut être attentif, il faut le bichonner et malheureusement, maintenant, les gens n'ont plus le temps de faire tout ça. »
Néanmoins, le pépiniériste craint qu'un tel choix n'impacte la qualité racinaire : « Un plant que l'on greffe une première année et que l'on met directement dans le sol aura selon moi un meilleur développement et une meilleure exploration racinaire du terrain, correspondant bien à ses besoins. Quand on fait un plus gros plant, il passe au moins une année en pépinière, on l'arrache, on lui coupe les racines donc l'exploration est à refaire. On le met ensuite en pot une deuxième année donc la racine ne profite pas. Finalement, quand enfin, il est remis en terre, il a loupé deux explorations racinaires ».
Histoire de la greffe
Les premiers greffages sur vigne sont apparus au XIXe siècle. L'objectif était à alors de lutter contre le phylloxéra, un puceron particulièrement redoutable. Originaire d'Amérique, il est arrivé en Europe après que plusieurs vignerons du Vieux Continent ont implanté des ceps américains, réputés productifs et résistants aux maladies, sur leurs terres. Après de nombreux essais aussi coûteux qu'infructueux, une solution est finalement trouvée : la greffe. Des ceps européens sont ainsi greffés sur des plants américains ou hybrides franco-américains, résistant au phylloxéra.
Comment greffe-t-on un plant de vigne ?
Le greffage consiste à assembler deux organismes vivants au moyen d’une soudure biologique. Aujourd'hui, la majorité des opérations de greffage de vigne est réalisée sur table par greffe oméga.
Plusieurs étapes sont à respecter pour greffer les vignes. Tout d'abord, les porte-greffes doivent être ramassés et nettoyés. « On les découpe en fagot et on les passe dans des machines qui enlèvent toutes les tiges, les vrilles, les bourgeons… On ne veut surtout pas qu'une pousse apparaisse sur le porte-greffe », indique Benoist Charrier. En parallèle, le pépiniériste cueille et débite les greffons, l'objectif étant de faire sortir les yeux. « Lors de la découpe, il faut respecter une longueur au-dessus de l'œil au moins égale au diamètre du bois, sinon on risque d'avoir des problèmes de dessèchement. »
Les porte-greffes et les greffons prêts, il faut ensuite les assembler. La greffe oméga se réalise à l'aide d'une machine qui permet de découper et d'assembler le rameau et le greffon. « Il faut être vigilant à bien centrer la greffe. Le greffon doit être de la même taille que le porte-greffe. S'il est plus petit, ça peut marcher, s'il est plus gros ça ne marchera jamais. »
Après greffage, le point de greffe est paraffiné, à l’aide d’une cire, afin d’assurer la rigidité physique de l’assemblage et de le protéger du dessèchement. « Les greffes sont placées dans des caisses avec de la sciure pour conserver un bon taux d'humidité. Quand le moment est venu de planter, on met nos caisses dans une chambre de chauffe, dans laquelle la température est maintenue à environ 30 °C, pendant dix jours. Au bout d'un moment, la soudure se crée. » Les greffes sont de nouveau paraffinées, toujours afin d'éviter le dessèchement.
Les pieds sont ensuite mis dans l'eau pendant quelques jours pour favoriser l'initiation racinaire, puis plantés en plein champ ou en pot. Entretenus tout l'été, les jeunes plants sont arrachés à l'automne. « On coupe les racines et les pousses pour les conditionner facilement et on les conserve au réfrigérateur entre 0 °C et 3 °C pour éviter le développement du botrytis. »