Interview
Alexandre Pelé : « Betteraves 2024 : des semis sous pression »
Le président de la CGB Centre-Val de Loire, Alexandre Pelé, fait le point au démarrage de la campagne betteravière.
Le président de la CGB Centre-Val de Loire, Alexandre Pelé, fait le point au démarrage de la campagne betteravière.
Comment se déroulent les semis de betteraves 2024 ?
Alexandre Pelé : Les pluies de ce printemps ont retardé les travaux des champs. Les semis de betteraves ne font pas exception. Dans notre région, habituellement les semis commencent début mars, souvent mi-mars. Cette année, au 5 avril, seulement 20 % des semis ont pu être réalisés. Rien n’est encore trop tard mais c’est une source d’inquiétude supplémentaire concernant le risque jaunisse.
2024 est une année avec un risque jaunisse important ?
Pour 2024, l’Institut technique de la betterave (ITB) et le Comité technique du PNRI (Plan national de recherche et d’innovation) annoncent en effet un risque jaunisse élevé. Si les prévisions des modèles venaient à se confirmer, tant sur la date d’arrivée des pucerons, sur l’intensité de la population que sur la durée du vol, la situation pourrait s’avérer rapidement très compliquée : la jaunisse se révèle d’autant plus impactante que les betteraves sont infestées à des stades végétatifs jeunes. Alors que les premiers pucerons sont attendus pour le 21 avril, ces semis tardifs les verront arriver sur des betteraves à peine levées, et donc particulièrement sensibles à la jaunisse.
Pour preuve, les parcelles de betteraves porte-graines en Eure-et-Loir présentaient des symptômes à la sortie de l’hiver, ce qui a d’ailleurs incité le Comité technique du PNRI à proposer un « plan d’action 28 » visant à déployer à plus grande échelle, dans cette zone sensible, certaines expérimentations intéressantes du PNRI : semis de plantes compagnes, épandage de composés olfactifs volatiles (Cov).
Quels sont les moyens de lutte à disposition ?
Les mêmes qu’en 2020 : deux insecticides Teppeki (flonicamide, un passage) et Movento (spirotétramate)… Et on a vu leurs limites en cas de forte présence des pucerons. La ministre déléguée au ministre de l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé le 5 avril dernier que les planteurs auraient, par dérogation, la possibilité de faire jusqu’à cinq passages de Movento. Ce n’est pas ce que demandait la profession ! Car la multiplication de l’application d’une même molécule risque d’accélérer l’apparition de résistances. Nous demandons à pouvoir utiliser les mêmes molécules que nos voisins européens, à savoir : l’acétamipride, autorisée jusqu’en 2035 dans l’Union européenne (et actuellement en cours d’évaluation par l’EFSA) et la flupyradifurone utilisable en enrobage de semences. Mais les verrous législatifs de la loi Biodiversité empêchent à ce jour l’utilisation de ces produits.
Vous dénoncez des distorsions de concurrence ?
Au sein de l’UE, il n’y a qu’en France que ces molécules sont expressément interdites, sans aucune possibilité de dérogation. La CGB n’a de cesse de dénoncer depuis des mois ces distorsions flagrantes de concurrence : en 2023, sept pays ont utilisé l’acétamipride en pulvérisation foliaire. Pour 2024, des autorisations d’usage sont déjà octroyées en Belgique, Espagne, Allemagne, Slovaquie et Suède…
Il nous paraît incohérent de nous dire qu’il faut diviser par deux notre utilisation de produits phytosanitaires et, en même temps, nous contraindre à multiplier les passages en produits foliaires. Nous attendons du courage politique pour assumer et revenir à du bon sens.
La CGB appelle donc une nouvelle fois le Président de la République et le gouvernement à passer des paroles aux actes, en rétablissant une parité des moyens de production au sein de l’Union européenne, pour les betteraviers et l’ensemble des agriculteurs français. Il faut pouvoir se reposer sur des éléments de production et de compétitivité, au même niveau que nos concurrents européens, d’autant que nous sommes sur le même marché. Et cela sans évoquer les standards sanitaires de production, hors Europe, des denrées que nous importons, d’Ukraine notamment…
Jaunisse 2023 : dossier de demande d’aide à déposer avant le 15 avril
Jeudi 4 avril, la CGB Centre-Val de Loire recevait, à Pithiviers, le député eurélien Philippe Vigier lors de la réunion de son conseil d’administration. L’occasion d’échanger sur les deux problématiques majeures de la filière : le risque jaunisse 2024 et les importations ukrainiennes. Philippe Vigier s’est engagé à remonter ces problématiques rapidement au gouvernement.
La CGB rappelle qu'en cas de perte de rendement significative liée à la jaunisse de la betterave en 2023, les planteurs ont la possibilité de déposer un dossier de demande d’aide sur le site de FranceAgriMer. La procédure du dépôt du dossier est proche de celle de 2020 mais il faut fournir une attestation Jaunisse contresignée par la ou les sucreries avec lesquelles le planteur travaille. Les modalités de l’aide sont celles annoncées par le ministère au mois de décembre. L’aide, dans le cadre du régime des minimis, est fondée sur la prise en charge d’une partie de la perte de rendement constatée en 2023 au regard de la période de référence 2017, 2018, 2019, avec une décote de 10 ou 15 %. Le forfait d’indemnisation est de 41 euros par tonne de betteraves à 16 ° de sucre.
Voir aussi notre article Indemnisation des pertes dues à la jaunisse