Manuel Valls : « L’agriculture, c’est important pour la France »
Après sa rencontre avec la FNSEA et Jeunes agriculteurs le 7 octobre, le Premier ministre souhaite restaurer un climat de confiance avec les agriculteurs.
Avec le CICE et le pacte de responsabilité, vous lancez plusieurs chantiers. Le monde agricole est –il concerné ?
Manuel Valls : Oui, le monde agricole est concerné. Le secteur agricole et agroalimentaire est bien plus encore qu’une filière stratégique pour nourrir les Français : c’est un secteur économique majeur pour la France, c’est plus de 1.5 million d’emplois non délocalisables. Le Gouvernement compte sur les chefs d’entreprises agricoles et agroalimentaires pour relancer la croissance et lutter contre le chômage. Les outils que nous avons créés pour la compétitivité de notre pays les concernent donc totalement. Pour les seules exploitations agricoles, dès 2014, le CICE a représenté 260 millions d’euros et il s’élèvera à 390 millions d’euros en régime de croisière à partir de 2015. La baisse des cotisations familiales des exploitants représentera 160 millions d’euros supplémentaires à partir de 2015.
Comment percevez-vous la situation de crise que vit le monde agricole ?
MV : Je me déplace beaucoup dans le pays et je rencontre beaucoup d’agriculteurs, dont les situations sont très différentes. Un grand nombre d’entre eux me disent vivre une crise économique et morale. Je suis très attentif à ce message. Je les écoute et je veux leur répondre. J’étais encore au début du mois de septembre à Saint-Jean-d’Illac au rassemblement des Jeunes agriculteurs. Je comprends que les causes sont multiples. Les éleveurs, les céréaliers, les producteurs de fruits et de légumes, les vignerons, sont confrontés à des difficultés de marché, à des conditions climatiques exceptionnelles, à l’impact de l’embargo russe. La volatilité des marchés ou les accidents climatiques s’accentuent. Au-delà, je ressens une inquiétude croissante face aux réglementations européennes ou nationales, dans les domaines agricoles, environnementaux ou sociaux. J’entends aussi les protestations devant des contrôles et des sanctions en cas de manquements. Ils sont conscients de leur grande responsabilité envers l’environnement et envers les consommateurs. Ils sont soucieux de travailler pour vivre de leur métier et élaborer des produits de qualité, de respecter la terre qui les nourrit et d’avoir de bonnes relations avec leurs voisins. L’agriculture, c’est important pour la France, et pour les Français. C’est aussi un secteur d’avenir. Je veux donc restaurer un climat de confiance dans l’avenir de ce métier, conforter la diversité des exploitations agricoles et leur capacité à répondre à des objectifs économiques, environnementaux et sociaux.
Comment envisagez-vous de desserrer l’étau des complexités administratives qui suscitent des réactions si négatives dans le monde agricole ?
MV : Nous voulons avant tout redonner du sens à l’action de l’administration. Les contrôles ne doivent plus être vécus comme une agression. Ils doivent aussi retrouver leur vocation pédagogique et de conseil. C’est également important pour les contrôleurs. J’ai donc demandé que des bonnes pratiques soient établies, afin que ces contrôles se déroulent dans des conditions où chacun connaît et respecte les droits et obligations réciproques. Il faut enfin, partout où c’est possible, simplifier, moderniser des dispositifs qui se sont parfois accumulés. C’est un des chantiers ouverts à l’occasion des Etats généraux de l’agriculture de février dernier. J’ai demandé à Stéphane Le Foll, Ségolène Royal et François Rebsamen de le poursuivre. Cela doit se faire tout en étant vigilant sur le respect de nos engagements communautaires.
Comment voulez-vous procéder pour redonner confiance dans l’avenir aux agriculteurs français ?
MV : Tout d’abord en montrant que le président de la République et le gouvernement sont aux côtés des agriculteurs : ils sont un atout stratégique pour notre pays ! Ce fut le cas lors de la négociation de la dernière réforme de la PAC .Grâce à la mobilisation du président de la République, le budget a été stabilisé pour les années à venir. Ce fut aussi le cas pour défendre et obtenir des moyens renforcés en faveur de la politique d’installation, véritable enjeu pour l’agriculture de demain. Les agriculteurs français sont certainement parmi les mieux formés dans le monde et donc les mieux à même d’adapter leurs modes de production aux évolutions des demandes des consommateurs et de la société. La production française bénéficie d’une image positive dans le monde entier et la demande va continuer de progresser en quantité et en qualité. L’agriculture est l’une des forces de la France dans la mondialisation. Nous devons la soutenir et l’encourager. Nous devons aussi, avec les professionnels, mobiliser les leviers pour créer des marges de compétitivité face à la concurrence européenne et internationale. Je le disais, c’est un des objectifs du CICE et du pacte de responsabilité. Mais c’est aussi le but du projet agro écologique qui permettra de réduire les achats d’engrais et de produits de traitement en utilisant des méthodes innovantes. Je suis convaincu du rôle essentiel de ce dispositif. C’est pour cela que j’ai demandé à Stéphane Le Foll et à Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur et de la recherche, d’expertiser tous les outils et les moyens d’accompagnement pour développer l’innovation dans le secteur agricole afin de gagner en performance économique et environnementale.
Le gouvernement lance les Assises de la ruralité, qu’en attendez-vous ? Quelle place pour l’agriculture et l’agroalimentaire dans le monde rural selon vous ?
MV : Permettez-moi de préciser un point important : le gouvernement a lancé les Assises des ruralités et non pas de la ruralité. Le pluriel n’a pas été utilisé au hasard. Nous voulons souligner la diversité des ruralités qui se sont développées en lien avec l’urbanisation, le développement de métropoles. Les moyens pour revitaliser chacune de ces zones rurales, qui se sentent parfois abandonnées, sont différents. J’attends de ces Assises qu’elles permettent de lancer une dynamique, des projets. Les Français doivent savoir que ces territoires ont des potentialités formidables si des blocages sont levés, notamment dans le cadre de la réforme territoriale. Et l’agriculture et les industries agroalimentaires sont des acteurs majeurs dans les zones rurales. Leur rôle en matière d’entretien, d’aménagement du territoire, d’emplois et de développement économique doit être réaffirmé là où elles sont le secteur économique le plus important mais aussi où leur outil de production, les sols agricoles, sont menacés par la croissance démographique et le développement d’infrastructures.
La grande distribution organise régulièrement la baisse des prix ce qui pénalise beaucoup les producteurs. Comment sortir de cette spirale perdant - perdant ? Comment éviter le risque de déflation ?
MV : Il s’agit même d’une spirale perdant-perdant –perdant. Perdant pour les producteurs agricoles et les industries agroalimentaires, perdant pour les enseignes de la grande distribution et perdant à long terme pour les consommateurs aussi si le tissu économique se déchire. Personne n’a d’intérêt à nourrir le mouvement de déflation qui menace l’activité économique et donc l’emploi. A la veille du début des négociations tarifaires pour 2015, Emmanuel Macron et Stéphane Le Foll vont recevoir les représentants des enseignes de la grande distribution et de leurs fournisseurs agroalimentaires. Ils vont leur rappeler ces risques et leurs conséquences. Mais ils vont aussi leur redire que le gouvernement est décidé à appliquer toutes les dispositions de la loi Hamon pour sanctionner les pratiques commerciales abusives, et prendre en compte la volatilité des cours des matières premières agricoles.
Les collectivités locales comme l’armée ou les hôpitaux sont de grands gestionnaires de cantines. Or on y trouve peu de produits français. Comment promouvoir l’origine France ?
MV : C’est un sujet majeur. Les Américains ont pris des initiatives intéressantes en la matière pour dynamiser leurs espaces ruraux. Nous ne devons pas être naïfs. Il faut conjuguer les efforts des gestionnaires de cantines, des élus locaux, des producteurs, et du Gouvernement. Nous avons toujours soutenu la promotion de l’origine dans les débats à Bruxelles et aussi la promotion de l’origine France, par exemple « viande de France », au Salon de l’Agriculture l’année dernière. Les producteurs doivent aussi participer à la mise en place de dispositifs qui permettent de faire coïncider l’offre et la demande localement. Les circuits courts, c’est moins de gaz à effets de serre, plus de qualité, plus d’emplois et ce n’est pas plus cher si on s’organise. Des élus ont déjà mis en place de telles plateformes à l’échelle départementale. Ces expériences devraient être diffusées et mutualisées. En ce qui concerne l’action en France, je souhaite que l’on explique aux responsables et gestionnaires de cantine comment privilégier l’approvisionnement français dans le respect du code des marchés publics.