Élevage
« Je crois à la notion de filière »
Éleveur à Vallières-les-Grandes (Loir-et-Cher), Sylvain Boiron préside depuis quelques semaines le Centre régional interprofessionnel de l’économie laitière caprine. Dans un entretien, il évoque son parcours et ses projets.
Éleveur à Vallières-les-Grandes (Loir-et-Cher), Sylvain Boiron préside depuis quelques semaines le Centre régional interprofessionnel de l’économie laitière caprine. Dans un entretien, il évoque son parcours et ses projets.
Horizons : Comment êtes-vous devenu éleveur ?
Sylvain Boiron : Je suis fils d’agriculteurs. Mes parents ont des vaches laitières à cinq kilomètres d’ici. À la fin de mes études, j’ai travaillé à mi-temps sur l’exploitation familiale et je cultivais 42 ha de terres. J’ai créé un troupeau de vingt-huit brebis. J’ai squatté un petit coin du hangar à génisses.
En 2006, j’ai eu l’opportunité d’acheter une ferme. Par la suite, mon frère étant revenu sur la ferme de mes parents, j’ai quitté mon emploi là-bas et j’ai créé mon troupeau de chèvres. J’ai vendu mes premiers litres de lait sous Appellation d’origine protégée (AOP) Selles-sur-Cher en 2009.
Quelles études avez-vous suivies ?
J’ai passé un BTS Productions animales à Tours-Fondettes (Indre-et-Loire).
Qu’est-ce qui vous a attiré chez les caprins et les ovins ?
Dans le cadre du BTS Productions animales, on découvre des filières qu’on ne connait pas forcément. Or les moutons m’ont bien plu. À l’époque, l’activité était compatible avec le troupeau laitier de mes parents car elle n’augmentait pas le travail de traite.
Quant aux chèvres, c’est une opportunité locale, en lien avec l’AOP. Un ancien salarié de mes parents s’était lancé deux ans auparavant. Cela a peut-être constitué un déclic chez moi.
En quoi consiste un élevage caprin ?
Nous avons un cahier des charges. Celui-ci porte sur l’alimentation, le bien-être des chèvres et la qualité sanitaire du lait cru. Cela offre des opportunités de marchés car les produits AOP Selles-sur-Cher se vendent très bien.
De quelle manière nourrissez-vous vos chèvres ?
Le cahier des charges impose 75 % d’aliments issus de la zone AOP. Or je suis à 81 %. Je produis le fourrage de mes chèvres, foin enrubanné ou affouragement vert. Pendant la période de l’année où c’est possible, je coupe l’herbe tous les jours. Je la ramène à la chèvrerie afin que les bêtes la mangent.
Principal complément, le maïs est produit sur l’exploitation. J’achète un peu de tournesol à des voisins. J’achète également un complément azoté non-OGM à un marchand d’aliments.
Quelle est la conjoncture pour la filière caprine ?
Avant la crise sanitaire, tous les voyants étaient au vert : peu de stocks et un marché en développement. La baisse de la consommation de lait de vache profite au lait de chèvre. Celui-ci a le vent en poupe. Nous manquons de lait en Selles-sur-Cher. Lors du premier confinement, les gens se sont rués sur le riz et les pâtes. Ils se sont détournés des produits haut de gamme.
Conséquence : quelques fromages AOP ont connu une baisse de production. Mais notre appellation est passée entre les gouttes.
Comment la traite des chèvres se déroule-t-elle ?
Les chèvres sont traites matin et soir. La période de lactation est de trois cents jours par an. Les bêtes ont deux mois de tarissement avant les mises-bas. Mais, ayant plusieurs lots de chèvres, je produis du lait toute l’année. Le lait d’hiver est très bien valorisé.
La traite est-elle manuelle ?
Nous travaillons avec une machine à traire. Mais, contrairement aux vaches laitières, il n’existe pas de robotisation de la traite. La production mondiale de lait de chèvre se résume essentiellement à ces trois pays : Espagne, France et Pays-Bas.
Aucun constructeur ne pourrait vendre des machines coûteuses. Par ailleurs, le comportement de l’animal n’est pas compatible avec des engins compliqués.
Quelle est l’organisation de votre élevage ovin ?
Je possède une centaine de brebis. Elles sont dehors d’avril à novembre. Je les rentre l’hiver car les conditions sont humides. Les brebis se trouvent à l’abri pour faire leurs petits. C’est plus facile pour s’en occuper.
À quel moment les agneaux partent-ils ?
Ils partent lorsqu’ils pèsent entre 40 et 45 kg, soit entre quatre et six mois.
Où les animaux sont-ils abattus ?
À Valençay (Indre). C’est l’abattoir le plus proche. Un collègue de ma commune possède un atelier de découpe pour ses vaches. Il découpe mes agneaux en prestation. Je récupère les caissettes et je livre.
Quelle est la situation de la filière ?
Pratiquant la vente directe, je me positionne en dehors des cours du marché. Je recherche la fidélisation des clients à un prix rémunérateur.
Comment associe-t-on caprins et ovins sur une même structure ?
Organiser une ferme constitue le cœur de notre métier. Caprins et ovins sont complémentaires car je ne valorise pas les mêmes fourrages. Quand ceux-ci sont moins bons, les brebis les mangent. Un caprin est capricieux !
Avec le Service de remplacement (SR), nous avons monté un groupe de quatre éleveurs. Nous avons deux salariés. Cela permet de lisser le travail sur l’année et d’offrir des emplois à plein-temps à nos salariés.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager syndicalement et professionnellement ?
Je me suis engagé très tôt aux Jeunes agriculteurs. Aujourd’hui, j’exerce des responsabilités dans la filière caprine et au SR. Si nous n’envoyons que des gens qui ont le temps, nos représentants seront incompétents ! Aucun éleveur n’a plus le temps qu’un autre. S’engager est uniquement une question d’organisation. Le SR apporte une solution.
Quelles relations avez-vous avec Rians ?
J’ai une formule qui vaut ce qu’elle vaut : nous ne travaillons pas pour la laiterie. Nous ne travaillons pas contre la laiterie. Nous travaillons pour les producteurs avec la laiterie. Les relations avec notre partenaire sont bonnes. Mais nous devons nous professionnaliser.
C’est l’intérêt des Organisations de producteurs (OP), au sens de la loi Egalim. Je souhaite que la laiterie gagne de l’argent. L’OP veille à une répartition équitable…
Quel message portez-vous à la Fnec et à l’Anicap ?
Je crois à la notion de filière. La France compte six mille élevages caprins, dont trois mille producteurs de fromage (le Centre-Val de Loire représente 10 % de la production nationale de lait et de fromage, NDLR). Avons-nous le luxe de parler à plusieurs voix ? Je ne le pense pas.
Quand producteurs, coopératives et industriels portent le même message, nous sommes entendus. Depuis une dizaine d’années, nous avons déconnecté les discussions relatives au lait de chèvre de celles du lait de vache. Notre filière a ses propres intérêts.
Quelles sont les spécificités de l’AOP Selles-sur-Cher ?
La zone n’est pas très grande. Longue et étroite, elle suit la vallée du Cher. Les producteurs s’inscrivent dans une dynamique. Nous avons dépassé le seuil de mille tonnes de fromage par an. On peut vendre directement, à un affineur ou à un transformateur. Les laiteries cherchent du volume. Des opportunités de reprises d’exploitations ou de créations existent.
Certains viticulteurs possèdent une dizaine d’hectares de vignes et quarante hectares de mauvaises terres. Lorsque l’exploitant cesse son activité, les vignes sont reprises. Les quarante hectares restant feraient de très bonnes terres pour élever des chèvres.
Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la présidence du Criel ?
Représentant les producteurs, mon élection s’inscrivait dans une continuité. Ensuite, nous instaurerons une présidence tournante. Le Criel représente la filière au niveau régional. Je copréside le comité de filière. Celui-ci discute du contrat d’appui à la filière, conjointement avec l’élu caprin de la chambre régionale d’Agriculture, Édouard Guibert, avec qui je m’entends parfaitement.
Quelles actions souhaitez-vous mettre en place ?
Il y a quelques années, nous avons connu une dynamique d’installations. Cependant, beaucoup d’exploitations sont à reprendre. On peut aussi créer un élevage caprin en partant de rien. C’est la raison pour laquelle nous travaillons sur le renouvellement des générations.
Les années précédentes, nous participions à Capr’Inov (salon international caprin qui se déroule dans les Deux-Sèvres, NDLR). Nous avions demandé aux services des chambres d’Agriculture d’élaborer un livret avec les exploitations caprines à reprendre afin d’attirer des gens extérieurs à la région.
Grâce à nos cinq AOP, le lait est mieux payé qu’ailleurs. Nous voulons également attirer des salariés. Le salariat peut constituer une première étape vers l’installation.
Quels sont les enjeux de demain pour la filière caprine régionale ?
Les AOP représentent des atouts. Ainsi, le lait cru est un facteur de différenciation. Mais les contraintes sont lourdes. Les producteurs ont besoin d’être accompagnés.